Giorgio Agamben
    La répétition
Il y a dans la Modernité quatre grands penseurs de la répétition : Kierkegaard, Nietzsche, Heidegger et Gilles Deleuze. Tous les quatre nous ont montré que la répétition n'est pas le retour de l'identique, le même en tant que tel qui revient. La force et la grâce de la répétition, la nouveauté qu'elle apporte, c'est le retour en possibilité de ce qui a été. La répétition restitue la possibilité de ce qui a été, le rend à nouveau possible. Répéter une chose, c'est la rendre à nouveau possible. C'est là que réside la proximité entre la répétition et la mémoire. Car la mémoire ne peut pas non plus nous rendre tel quel ce qui a été. Ce serait l'enfer. La mémoire restitue au passé sa possibilité. […] La mémoire est pour ainsi dire l'organe de modalisation du réel, ce qui peut transformer le réel en possible et le possible en réel.
 
  Dès ses premiers films et de façon de plus en plus claire, Debord nous montre l'image en tant que telle, c'est-à-dire, selon un des principes théoriques fondamentaux de La Société du spectacle, en tant que zone d'indécidabilité entre le vrai et le faux.
[…]
Les médias nous donnent toujours le fait, ce qui a été, sans sa possibilité, sans sa puissance, ils nous donnent donc un fait par rapport auquel on est impuissant. Les médias aiment le citoyen indigné, mais impuissant. C'est même le but du journal télévisé. C'est la mauvaise mémoire, celle qui produit l'homme du ressentiment.
  L’arrêt, l’interruption, la césure
C'est le pouvoir d'interrompre, l'"interruption révolutionnaire" dont parlait Benjamin. C'est très important au cinéma, mais, encore une fois, pas seulement au cinéma. C'est ce qui fait la différence entre le cinéma et la narration, la prose narrative, avec laquelle on a tendance à comparer le cinéma. L'arrêt nous montre au contraire que le cinéma est plus proche de la poésie que de la prose. Les théoriciens de la littérature ont toujours eu beaucoup de mal à définir la différence entre la prose et la poésie. Beaucoup d'éléments qui caractérisent la poésie peuvent passer dans la prose (qui, par exemple, du point de vue du nombre des syllabes, peut contenir des vers). La seule chose qu'on peut faire dans la poésie et pas dans la prose, ce sont les enjambements et les césures. Le poète peut opposer une limite sonore, métrique, à une limite syntaxique. Ce n'est pas seulement une pause, c'est une non-coïncidence, une disjonction entre le son et le sens. C'est pourquoi Valéry a pu donner une fois cette définition si belle du poème : "Le poème, une hésitation prolongée entre le son et le sens." C'est pour cela aussi que Hölderlin a pu dire que la césure, en arrêtant le rythme et le déroulement des mots et des représentations, fait apparaître le mot et la représentation en tant que tels. Arrêter le mot, c'est le soustraire au flux du sens pour l'exhiber en tant que tel.
       
   

Le Cinéma de Guy Debord,in IMAGE ET MEMOIRE,Hoëbeke, 1998