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[Enseigner avec le cinéma. Rencontre avec la pédagogie institutionnelle]

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II-2.Les points de repères théoriques

C’est à travers une pratique d’ateliers pédagogiques autour du cinéma que j’ai peu à peu repéré un certain nombre de concepts à l’œuvre, qui me permettront en retour de modifier, transformer, bonifier, j’espère, la forme de ces ateliers. Il y a donc élaboration permanente. Et toute pédagogie, selon la Pédagogie institutionnelle, est une élaboration permanente, sans cesse en mouvements d’aller/retour entre la pratique et la réflexion.

Ces choix sont repérables d’une façon abstraite, mais dans le concret, dans la pratique, ils sont absolument imbriqués. Nous ne sommes pas dans une situation expérimentale de laboratoire — la vie de la classe ne peut pas se poser sur une paillasse —, mais bien dans le vécu, dans l’existant, comme insiste Jean Oury, pour faire la différence entre vivant et existant (afin ne pas tout réduire au seul biologique, comme, selon lui, cherchent à le faire actuellement les neurosciences).
Parmi les concepts structurant la Pédagogie institutionnelle, voici ceux que je retiens, pour l’instant :

>>> LA CLASSE EST UN « COLLECTIF » (concept de Jean Oury)

L’objectif est d’obtenir dans la classe une qualité relationnelle qui n’est possible que du fait des « institutions décidées en commun pour s’entendre autour d’un centre d’intérêt, d’une production, d’un conflit, etc. Les institutions restent manipulables en permanence, et évoluent avec la vie de la classe. Il y a polymorphie institutionnelle de la praxis : c’est ce mouvement qui permet de ne pas figer les individus, ni les situations, dans des rôles ou des images. » Afin d’éviter ce gel, poursuit Laffitte, il faut installer « des médiations entre les individus, permettant ainsi de débloquer les affrontements duels et imaginaires. On assiste là à l’instauration d’une logique triadique, […], qui assure l’entrée de la vie du groupe dans la dimension symbolique ».

Définition de la praxis

>>> Celle que retient Pierre-Johan Laffitte :

« J’entends praxis au sens marxien de pratique productrice d’objets et de valeurs, dans laquelle les praticiens travaillent à devenir maîtres des moyens de cette production, tant intellectuels que techniques »

>>> Celle, un peu plus lapidaire, mais qui nous sera utile, telle qu’on peut la trouver sur le site du groupe de recherche « STP » (Sujet, Théorie et Praxis) :

« La praxis est la pratique en tant qu’elle instruit la théorie »

http://lutecium.org/stp

Définition de la dimension symbolique

La dimension symbolique, c’est ce qui fait lien. Laffitte dit que ce lien se fait par « la loi, les échanges, le langage. »

Pour comprendre cette dimension symbolique, le plus simple est de revenir au fameux stade du miroir, tel que relevé par Jacques Lacan, qui nous permet de distinguer là où il y a de l’imaginaire et là où il y a du symbolique. Je reprends ici des extraits du Vocabulaire de la Psychanalyse de Laplanche et Pontalis (Puf) :

« D’après J. Lacan, phase de la constitution de l’être humain, qui se situe entre les six et dix-huit premiers mois ; l’enfant, encore dans un état d’impuissance et d’incoordination motrice, anticipe imaginairement l’appréhension et la maîtrise de son unité corporelle. Cette unification imaginaire s’opère par identification à l’image du semblable comme forme totale ; elle s’illustre et s’actualise par l’expérience concrète où l’enfant perçoit sa propre image dans un miroir.
Le stade du miroir constituerait la matrice et l’ébauche de ce qui sera le moi.
[…]
L’enfant perçoit dans l’image du semblable ou dans sa propre image spéculaire une forme (Gestalt) dans laquelle il anticipe — d’où sa « jubilation » — une unité corporelle qui lui fait objectivement défaut : il s’identifie à cette image. Cette expérience primordiale est au fondement du caractère imaginaire du moi constitué d’emblée comme « moi idéal » et « souche des identification secondaires ».
On voit que, dans cette perspective, le sujet n’est pas réductible au moi, instance imaginaire dans laquelle il tend à s’aliéner. »


L’image de son semblable qu’il aperçoit à côté de sa propre image dans le miroir donne à l’enfant accès à l’ordre incarné par tous ses semblables, les humains, reliés entre eux par les systèmes du langage et de la filiation. Il n’est pas seul, symboliquement, il y a du lien, et forcément une loi à laquelle il faudra se soumettre, qui engendrera une autre forme d’aliénation, indispensable pour ne pas sombrer dans l’aliénation imaginaire, comme le Narcisse du mythe qui meurt de vouloir retrouver son image reflétée sur la surface de l’eau.

Jean Oury parle souvent dans son séminaire, de la nécessité de repérer et maintenir un écart entre l’imaginaire et le symbolique. C’est ce non-écart, la confusion entre les deux qui se manifeste chez les fous. En l’écoutant attentivement ne cessant d’insister sur cette distinction à établir entre les deux concepts, et en lisant tout aussi attentivement le texte de Laffitte, je n’oublie pas que le collectif, ce n’est pas la collectivité : c’est aussi un concept, ce n’est pas une chose repérable, objectivable. Quand ça fonctionne, au sein d’un groupe, c’est-à-dire qu’il y a quelque chose qui circule et qu’en même temps la singularité de chacun n’est pas étouffée par les institutions décidées en commun par le groupe et qui représentent la dimension symbolique, on peut dire qu’il y a du collectif. Le collectif, c’est cette tension, fragile, entre la dimension sociale et la dimension singulière. La classe est considérée selon Laffitte comme « un groupe réel, et non une situation uniquement dictée par les besoins de reproduction des cadres et canons de la société », avec la complexité qui caractérise tout groupe humain. De ce fait, dit-il, une vie culturelle y naît et se développe.

Qu’est-ce que signifie la remarque de Laffitte ? Que l’élève n’est pas seulement un acteur, un agent (du verbe agir) ayant une fonction dans une société, mais qu’il est d’abord un sujet.

LES LIENS DE L'ATELIER AVEC LA PI

Sur ce registre de la classe comme collectif et comme système auto-organisateur, auto-régulateur, auto-producteur qui cherche à trouver des sources d’énergie, qu’est-ce qui me relie à la Pédagogie institutionnelle ?

En tant qu’intervenante, et comme tout intervenant, personne invitée dans la classe, je fais partie de ces échanges avec l’extérieur ; je viens du dehors, je vais être un médiateur pour quelque chose ; je vais introduire du nouveau qui va déclencher du langage et se frotter aux règles explicites ou implicites qui gouvernent la classe.

Pour actualiser cet échange, j’ai fait le choix d’écrire aux élèves. Pendant la durée de l’atelier, ils vont recevoir trois lettres :

>>> Une première lettre (1) (2) (3) (4) individuelle et collective accompagnée d’une image (la photocopie couleur — qualité supérieure sur papier épais 21x29,7 cm —d’une photo couleur de ciel étoilé) : j’ai préparé 27 dossiers, une chemise couleur contenant la lettre et l’image, que j’ai remis à Jean-Charles qui les transmettra aux élèves. Ne pouvant venir faire connaissance avant la première séance, comme je le fait pour tous les ateliers que j’anime, j’ai donc opté pour l’écriture.

Cette première lettre possède plusieurs fonctions :

##Elle est un moyen pour permettre au collectif de se manifester : sans le dire, j’annonce que je vais m’adresser à la fois au groupe et à chacun en particulier. En recevant le dossier des mains du maître, qui entre ainsi dans la ronde et m’y fait entrer en même temps, chaque élève va pouvoir constater que le dossier de son (sa) voisin(e) est différent tout en étant le même : le texte de la lettre est identique, mais les polices sont différentes, les papiers d’impression ne sont pas forcément blancs, mais jaunes, rouges, verts. Parfois, il y a plusieurs couleurs sur une même page.

##…Cela nous amène à la seconde fonction de cette lettre.
Avant même de démarrer l’atelier, un certain travail est déjà en marche. En observant que les lettres-messages sont à la fois identiques et différentes, j’introduis un élément qui sera au cœur de l’atelier : attirer l’attention des élèves à la fois sur les figures (ici, des lettres alphabétiques) et le fond pour aller vers une appréhension de l’image considérée comme un ensemble formé de figures et d’un support et pas seulement réduite à des figures, le fond devenant inexistant, sans valeur.

Une seconde lettre (*) collective (27 lettres identiques, papier blanc, distribuées par Jean-Charles) entre la 1e et la 2e séance, pour leur donner une directive. J’ai oublié pourquoi j’ai demandé par écrit aux enfants de penser à un rêve alors que j’aurais pu le faire oralement à la fin de la première séance. Je crois que c’est parce que le travail y avait été très intense, qu’il était 16 heures passées et qu’il fallait respecter la règle établie de la dernière demi-heure « libérée » pour finir la journée, que j’ai certainement oublié de leur demander. Mais finalement c’est très bien comme ça : cela continuait à créer des liens concrets entre nous.

Une troisième lettre (*) (**) collective, envoyée après la 6e et dernière séance, destinée à la fois à marquer la fin de notre rencontre et à rassembler les éléments de savoirs que nous avions découverts et travaillés ensemble. Cette lettre pouvant servir à l’enseignant, pour prolonger éventuellement, dans d’autres directions, le travail entrepris.

J’insiste ici sur le fait que tous les éléments de cette lettre reprennent les propos mêmes des élèves pendant le déroulement de l’atelier. Il ne s’agit pas d’un savoir supplémentaire que je leur transmettrais in fine. Donc, même si cela peut sembler très dense, comme cela a été le cas pour certains enseignants ayant participé au stage des Cinémas indépendants parisiens, c’est cela même qui a été produit et partagé au sein du groupe-classe.

J’espérais bien que ces lettres soient aussi des traces pour se souvenir du travail effectué. Je ne sais pas ce qu’elles sont devenues. J’ai cependant eu une surprise, un an après, lorsque je suis revenue dans la classe, sans prévenir, au dernier jour d’école.

Les enfants m’avaient confié tous leurs textes et dessins pour que je puisse les scanner et j’avais promis de les leur rendre. Je ne l’avais pas fait l’année même, prise par mes activités, mais je devais absolument tenir ma promesse l’année suivante étant donné qu’ils allaient quitter le primaire pour entrer au collège. Je savais qu’ils étaient encore avec Jean-Charles pour leur CM2.

Je suis allée voir le directeur de l’école M. Servant, afin de lui donner l’ensemble des documents. Mais il trouvait dommage que je ne les remette pas moi-même aux élèves. Il m’a accompagnée jusqu’à l’entrée de la classe. On était tous contents de se revoir. Et voici que Jonathan se lève et vient vers moi, un classeur ouvert, à la main : c’est là qu’il « classe » tout ce qu’il considère important et qu’il tient à conserver. Ce dossier s’ouvrait par l’image du ciel étoilé…

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