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Le regard [contexte]


Pier Aldo Rovatti, Abitare la distanza. Per un'etica del linguaggio, Feltrinelli, 1994, p. 57-59. (Traduction personnelle)

« Nous nous sentons regardés, disait Sartre, nous l’imaginons aussi, et nous sommes troublés, angoissés même, de soupçonner que les autres nous regardent, même si nous ne voyons aucun œil nous scruter : nous sommes donc, continuait Sartre, sous le pouvoir de ce regard qui vient du dehors et qui n’a pas besoin de se faire voir ; nous sommes immobilisés, médusés, par cet œil extérieur qui n’est pas à proprement parler un œil, et cela ne nous console pas, nous n’échappons pas à une telle sujétion, d’expérimenter et de savoir que nous-mêmes pouvons être ce regard préjudiciable aux autres. Il en résulte une visibilité-pouvoir, Sartre le regrette, qui par la suite deviendra pour Foucault, d’une manière assez proche, le chiffre d’un commandement anonyme et silencieux dans la formulation (benthamienne) du panopticon. Il en résultera que ce “sujet” rendu passif par une visibilité supposée, car toujours réalisable (parfaitement intériorisable, œil disparaissant dans le regard), ne trouvera salut ou refuge si ce n’est en se rendant soi-même invisible au moyen d’un art de soustraction au regard. Pouvoir du regard, quand cependant c’est un autre sujet qui le manœuvre d’une façon visible ou inapparente ; sujet qui se fait regard à soi-même, et en soi-même sujet à un autre (soggetto a un altro), et qui donc n’a même pas besoin d’un autre sujet réel qui le manœuvre : narcissisme, dirait-on, qui se résout en une auto-capture, et se livre, tout comme le Narcisse du mythe, à un destin de mort. Peut-on échapper à ce regard ? Mais, en définitive, faut-il échapper à une telle visibilité ?

Le regard du paysage qui nous regarde, dont parle le peintre évoqué par Merleau-Ponty, semble nous indiquer une expérience différente. Peut-être est-ce la même expérience où peut prendre corps la machine de la capture et du pouvoir, sauf qu’elle ne se réduit pas à ce corps du pouvoir. Elle la rend possible, comme elle rend possible l’expérience du visible dans tout son champ de possibilités. Elle donne corps au pouvoir, mais elle donne aussi un corps à notre expérience, et donc aussi une habitabilité, dira-t-on. Si elle installe en chacun de nous le régime de la commande à distance, il permet aussi à chacun de nous de prendre cette distance par rapport à soi pour être un œil sur le monde à travers la visibilité. À la sujétion au regard, nous réagissons d’habitude ou par un sentiment d’effacement, ou bien si nous nous en sortons, en faisant appel encore à la domination de l’œil sur les choses, regard actif plus puissant que le regard qui nous assujettit. Comme si Narcisse disait : non, c’est une simple illusion optique, c’est moi qui la produit, je peux donc la contrôler et la modifier subjectivement (soggettivamente).

Mais il y a précisément une autre voie, qui consiste à tenter de reconnaître notre “sujétion” à la visibilité justement comme ce qui permet de regarder les choses et nous-mêmes. Reconnaître que l’on fait partie du visible, c’est ce que voudrait Merleau-Ponty : reconnaître que nous voyons non pas parce que nous avons des yeux, mais que nous avons des yeux parce que nous sommes installés dans le visible et que nous en faisons partie. Que les choses nous regardent n’est pas l’étrange expérience dont certains, les peintres par exemple, témoignent, mais c’est l’expérience même de la visibilité grâce à laquelle nous réussissons à reconnaître notre position de voyant et qui fait que le point de vue, auquel nous sommes fixés, n’épuise pas le voir. Le cartésien, nous dit Merleau-Ponty, ne se voit pas dans le miroir, il voit une image secondaire et construite, le résultat d’une optique. Mais que voit celui qui au contraire se voit dans le miroir ? Il entre dans un jeu de regard, il s’introduit — pour autant qu’il réussit à ne pas être cartésien — dans la dimension de la visibilité : laquelle signifie verticalité, écart et distance. Il voit assurément sa propre image mais une image bien différente de l’image “technique” du cartésien, une image qui appartient au visible. »

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