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temps, tension, vision [contexte 1] [contexte 2]
Georges Didi-Huberman, Devant le temps,
Minuit, 2000. Extraits du chapitre 3, L'IMAGE-COMBAT, p.159-232.
« Quelle concrétion temporelle formons-nous lorsque nous sommes
engagés dans l'acte du regard, dans l'expérience visuelle ?
De quelle concrétion temporelle l'image à ce moment nous fait-elle
don ? D'abord d'une très étrange façon de présent : ce n'est pas le présent de la “présence” — si l'on entend par là ce que Derrida a justement mis en question dans la métaphysique classique (1) —, mais le présent de la présentation qui devant nous s'impose plus souverainement que la reconnaissance représentationnelle elle-même (ainsi, devant le Portrait d'Ambroise Vollard de Picasso, n'est-ce pas Ambroise Vollard qui est d'abord “présent”, mais un espace pictural si spécifique qu'il reproblématise devant nous toute la question de la représentation anthropomorphe). Or, qui dit présentation — comme on dit formation — dit processus, et non stase. Dans ce processus, la mémoire se cristallise visuellement (par exemple sur l'histoire du genre “portrait” avant que Picasso ne le bouleverse), et en se cristallisant elle se diffracte, se met en mouvement, bref, en protension : elle accompagne le processus et, ce faisant, elle produit le futur contenu dans la suite du processus (nous obligeant par exemple à modifier ce que nous attendons, à partir
de Picasso, de toute représentation anthropomorphe). Il y a donc dans l’expérience visuelle ainsi envisagée, un cristal de temps qui engage simultanément toutes les dimensions de celui-ci : ce que Benjamin nommait une “dialectique à l'arrêt” — “ce
en quoi l'Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation(2)” ».
(1) Cf. J. Derrida, Marges de la philosophie, Paris, Minuit, 1972, p.1-78.
(2) W. Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle, Cerf, p.478.
Henri Maldiney, Aîtres de la langue et demeures de la pensée, chapitre I « Genèse du temps. Les noms du temps et les dimensions du verbe », éditions L’Âge d’homme, 1975, p. 18. Réédité aux Éditions du cerf (2012).
« C'est de la tension du présent que procèdent les intentions
futurisantes et mémorisantes. Mais comme le présent (telle la décision)
a un sens irréversible, ces intensions elles-mêmes ne sont pas symétriques :
l'une étant en retrait, l'autre en anticipation. La temporalité exprimée
par les temps de l'indicatif n'est plus simplement tensio et in-tentio mais pro-tentio et re-tentio.
Le présent qui fonde l'unité du temps le divise en époques.
En chacune d'elles le temps s'articule avec lui-même selon ses trois dimensions
et constitue à chaque fois un nœud dimensionnel différent
: Futur, Présent, Passé. C'est avec une telle chronothèse
connotée par la notion grammaticale de tempus que s'achève
la chronogenèse du temps — qui alors seulement est Zeit. »
(Dans une note, p.5, Maldiney donne l'étymologie du Zeit allemand :
diviser, déchirer).
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