GENÈSE
au cours des séances
depuis le début
STYLE
à table
carnets de bord
> carnets d'annick
REPÈRES
à lire
constellation
entre nous
> jean oury
> jean-luc godard
> jean-marie straub
> georges didi-huberman
> p. j. laffitte/o. apprill
TERRAINS
TECHNÈ
PLUMES
DANS L'INSTANT
CONFIDENCES
LE COIN DES AMIS
LE COIN D'ANNICK B.
filmographie
CONTACT
RETOUR ACCUEIL
LES WIKI D'OLC
le livre impossible
Pour cette réunion, Maryvonne s'est excusée, ayant eu un empêchement de dernière minute. Liliane, également absente, n'a pas donné de ses nouvelles.
I
J'ai “ouvert” notre réunion en essayant de rappeler très rapidement les objectifs d'Ouvrir le cinéma qui est un groupe de réflexion et de travail, essentiellement, créé pour se permettre de prendre le temps d'être attentives à la construction des connaissances (et pas seulement au couple transmission/réception), d'avoir des idées.
Pour définir très vite la méthode d'approche que je propose d'adopter, on pourrait dire qu'elle consiste à multiplier les questions adressées à l'image, à “l'ouvrir” et à la laisser “ouverte” (qu'est-ce qu'elle “nous dit”, à l'opposé du “qu'est-ce qu'elle veut dire”, on pourra en reparler) plutôt qu'à la juger.
Les séances sont un “temps fort” mais le principal est peut-être dans la réflexion et le travail critique de chacune, dans l'intervalle de nos rencontres, à partir des différents types de textes qui circulent entre nous (récits et comptes rendus des séances, textes théoriques ou littéraires accompagnés de commentaires ou de remarques). Chaque séance suivante devant être, “idéalement”, la chambre d'écho, le réceptacle de ce travail en solitaire.
La quantité et la “densité” de certains de ces textes nécessitent que l'on s'y attarde, que l'on y revienne. Compte tenu de la difficulté qu'ils peuvent présenter, il est nécessaire de les approcher non pas à partir d'un point de vue général, global, pour en faire trop rapidement une synthèse rationnelle et précise, mais plutôt, dans un premier temps, à partir de mots, de phrases, d'arguments, qui nous semblent “obscurs”. Ces textes n'ont pas été écrits par leurs auteurs pour nous “intimider” ou nous “laisser en rade”. Simplement, ils sont le fruit d'une pensée dense et complexe (qui ne veut pas dire compliquée) et nécessitent une lecture (plusieurs lectures) lente et obstinée. (J'ai rappelé à ce propos une petite phrase de Bergson au sujet de personnes qui critiquaient très sévèrement un texte qu'elles ne comprenaient pas, alors que le vocabulaire en était très simple : “ils trouvaient les mots étranges, parce qu'ils étaient restés étrangers à la pensée” [1]
En reprenant certains passages des textes de Rimbaud, Legendre, Morin, Benjamin, ainsi que certaines citations de Bachelard et Nouvel, nous avons tenté de repérer les fils qui courent entre ces textes. Principalement sur la question de l'identification, du rôle de l'image dans “l'élaboration du Sujet”, comme l'a formulé l'une d'entre vous, de l'attitude du spectateur de “cinéma”. Nous n'avons pas, loin de là, épuisé ces textes. Ce serait bien qu'au cours des trois séances qui nous restent [2] vous puissiez formuler à nouveau certaines difficultés ou au contraire certaines évidences que ces textes véhiculent.
J'anticipe d'ailleurs sur la réunion du mois de Mars, qui sera donc l'avant dernière. Je propose que cette cinquième rencontre soit élaborée à partir d'une contribution de chacune d'entre vous, sur le sujet de votre choix, mais qui doit malgré tout concerner ce qui a“ travaillé” le groupe et/ou ce qui vous a “travaillé”, individuellement, dans votre classe. Il ne s'agira pas de dresser un bilan de ce que nous avons fait, j'insiste sur ce point car ce sera plutôt l'objet de la dernière réunion, mais une façon personnelle de développer un élément qui vous concerne ou vous intéresse particulièrement (Cela n'est certainement pas totalement “l'expression libre” chère à Freinet, Maryvonne nous le précisera, mais il s'agira tout de même pour vous, de vous impliquer d'une façon ponctuelle. Pour que nous ayons le temps de voir malgré tout des images, une intervention de 10 minutes environ chacune serait la bonne mesure).
p align="justify" class=styles-cinema >Sous forme de deux tableaux reproduits ici, j'ai donné une image du cheminement suivi depuis le 15 novembre qui permet de préciser un peu plus nettement le point du vue d'où Ouvrir le cinéma propose de regarder le cinéma, en comparaison avec les deux autres approches majoritaires, c'est-à-dire, l'approche sémiologique et l'approche esthétique [3] . En précisant que l'approche anthropologique [4] , bien évidemment a besoin et donne une place à la sémiologie et à l'esthétique, mais autrement — on peut déjà le repérer en “lisant” les tableaux — et en tout cas, pas immédiatement. Le point de départ, on pourrait dire, que ce serait de voir comment certaines facultés humaines, certaines fonctions de notre pensée, agissent, nous sont utiles, quand nous regardons des images. Notre objet d'étude ne serait pas “le cinéma” mais notre “relation au cinéma”.Il s'agit de la chronologie du parcours effectué dans le groupe pour faire émerger la question de l'image (à laquelle se rattache la question du cinéma) par rapport à la connaissance sous le double aspect épistémologique et “psychologique”. Nous aurions pu nous y prendre autrement. La sortie du livre de Pascal Nouvel, L'Art d'aimer la science, a été déterminant. Si ce livre n'était pas sorti à l'automne, j'aurais très probablement eu tendance à rapprocher Bachelard et Freud, par l'intermédiaire d'un livre que j'ai “commencé” il y a quelques années, et que je “reprends” périodiquement, Le Plaisir de pensée de Sophie de Mijolla-Mellor, publié aux Puf.
Il situe un peu la méthode d'approche que je souhaite impulser dans Ouvrir le cinéma, en comparaison avec d'autres approches possibles. J'ai essayé de dégager très grossièrement ce qui, à mon avis, est implicite, dans chaque méthode. Ce tableau est à prendre comme un “instantané”; il est une manière de visionner temporairement un travail en cours, sujet à l'erreur et destiné à être, encore, et encore, remis en question, au sens littéral du terme.
A propos de Narcisse, suite à ma proposition concernant la “bassine d'eau” et du travail d'écoute de l'enseignant vis à vis des différentes formes de réaction des enfants pour inventer une suite à “l'exercice”, vous avez été plusieurs à intervenir pour relater des expériences très proches. Si je me souviens bien, il s'agit de deux expériences en Maternelle. La première avait consisté, dans le cadre d'un travail sur la représentation de soi, de proposer à l'enfant de dessiner un visage à partir d'un élément déjà représenté sur la feuille (pour lui donner une sorte de repère, de point de départ). Les enseignants avaient pu constater que les dessins étaient devenus dans la quasi majorité des autoportraits. Le second cas était également un travail de dessin mais explicitement à partir d'un autoportrait puisque l'enfant était invité à se regarder dans un miroir pour se dessiner.
Ces trois cas de figure, autour de la question de l'image de soi suscitent certaines questions : A votre avis, est-ce qu'il est possible en Maternelle (ou alors à partir de quelle classe) de prolonger le travail sur la représentation de soi par un travail sur la représentation de l'autre et du monde ? Comment ?
Il me semble que “la bassine d'eau“ aurait peut-être un caractère plus ambigu (on ne se reconnaît pas forcément tout de suite dans le “sombre” de l'eau, il y a peut-être plusieurs visages qui se reflètent, ou même des fragments d'objets ou de nature). J'aimerais bien connaître vos points de vue.
En ce qui concerne le dispositif directement avec le miroir, il va également fonctionner sur d'autres registres (“miroir, mon beau miroir, dis-moi qu'elle est la plus belle”, notamment — mais je me sens totalement incompétente sur la question, pour l'instant).
Concernant ma proposition de trouver des exercices axés sur un “changement de braquet visuel”. Valérie a dit qu'elle avait cherché mais qu'elle n'avait pas réussi à trouver. En l'occurrence, je crois qu'il ne faut pas être trop impatient, que ce n'est pas forcément en cherchant qu'on trouve, mais en “travaillant”, en rapprochant des tas d'idées, d'images, de textes, d'expériences, et le “déclic”, par surprise, se fait. C'est en écrivant le compte rendu de la séance précédente et en essayant de clarifier pour vous les textes de Benjamin et de Legendre que me sont venues l'idée de la bassine d'eau et l'idée du changement de braquet visuel. Absolument pas “à froid“, en me disant : il faut que je trouve une idée d'action pédagogique. Quand les idées me sont arrivées, elles me paraissaient extrêmement évidentes et ne m'avaient demandé aucun effort, aucune fatigue. Elles ont surgi de la logique que m'imposait le fait de devoir comprendre et commenter un texte (Cela ne veut pas dire que l'idée est juste, mais elle existe. Reste à la questionner, à “l'ouvrir”).
C'est ce que j'ai voulu exprimer en cours de réunion quand j'ai parlé de faire surgir des idées d'actions pédagogiques du travail même de réflexion, sans attendre des “modèles” extérieurs aussi parfaits et subtils soient-ils, mais que nous n'avons pas créés, construits nous-mêmes. Françoise G. a précisé que c'est toujours ce que vous faisiez, mais je n'ai pas bien compris. Travaillez-vous en groupe, pour laisser venir les idées quand elles veulent bien venir ? Des exemples précis me seraient utiles
Valérie nous a également raconté sa surprise ravie devant un enfant de sa classe (CE1) qui, au sortir de la projection des Vacances de M. Hulot a aussitôt pu formuler que ce film lui avait fait penser aux films de Charlie Boers, vus précédemment (Elle avait lu un article critique sur le film faisant la même remarque).
Françoise L. nous a parlé d'un enseignant qu'elle avait vu travailler en grande section de Maternelle à partir du même film de Tati, en présentant aux enfants des photogrammes du film et en demandant de les mettre dans l'ordre.
J'ai exprimé un doute quant à la méthode, sans pouvoir vraiment l'expliquer, tout en étant consciente que la faculté de classer était primordiale et que l'école est là justement pour la mettre à l'épreuve.
Avec un peu de recul, je me pose quand même quelques questions.
Je ne sais pas si Les Vacances de M. Hulot est un film pertinent pour travailler la question du récit (du point de vue minimal de la chronologie des événements) au cinéma, et en Maternelle.
En abordant un travail sur le film avec des petits immédiatement à partir de la chronologie du récit “tel qu'il est”, il me semble que l'enseignant a fait l'ellipse sur le travail de mémoire que nous impose le film. En commençant par demander aux enfants de se souvenir (mais je pense que la plupart des enseignants le font) et de formuler les images qui leur restent, c'est une façon de leur faire ressentir le rôle de la mémoire et la manière dont les souvenirs surgissent, dans le désordre (la mémoire ne connaît pas la chronologie), déformés, modifiés (chacun a les siens et les a mêlés à d'autres souvenirs, à ses propres fantasmes). C'est peut-être une façon aussi de donner confiance à l'enfant, en tenant compte de sa version du film, avant d'aborder, si on le souhaite, le récit tel que décidé par l'auteur.
II
Nous avons ensuite visionné un “montage” de 30 minutes intitulé Che ci importa della luna ? (Qu'est-ce qu'on en a à faire de la lune ?) présenté dans le cadre d'une émission nocturne régulière à la télévision italienne — 3e chaîne — dirigée par Enrico Ghezzi, grande figure cinéphile italienne, à l'occasion du trentième anniversaire du débarquement américain sur la lune (1969-1999).
C'est le premier des trois films (ou extraits) que nous allons travailler sur la question du cinéma qui pense en continu (par le mouvement et le montage) et qui empêche le spectateur de se recueillir sur ses propres pensées. Le texte de Walter Benjamin que je vous avais adressé était destiné à introduire et à vous familiariser avec cette problématique.
Che ci importa della luna ? est donc un film de montage à partir essentiellement de deux sources d'images, dont certaines reviennent à plusieurs reprises :
— des images du début du siècle, fondatrices du cinéma, pour une part “documentaires”, (la sortie des usines Lumière, l'arrivée du train, mais aussi des scènes urbaines, des plans-travelling — à partir de la Tour Eiffel, de trains en marche, etc), pour une part de fantaisie (le débarquement sur la lune, je pense de Segundo de Chomon)
— des images contemporaines, tout aussi mythiques, télévisées, de différents voyages dans l'espace d'astronautes américains, avec notamment l'alunissage d' Amstrong.
De nombreuses surimpressions (par ex : la sortie des usines + l'approche de la lune ou la terre vue de l'espace) “troublent” le montage alterné de ces deux sources d'images.
Dans ce montage vient “s'immiscer” le générique de l'émission qui n'est autre qu'un extrait de la séquence de L'Atalante de Jean Vigo, quand Jean Dasté “voit”, après avoir plongé dans le canal, Dita Parlo, en robe de mariée, filmée dans un extr¡me ralenti, et tournant sur elle-m¡me.
La bande sonore est composée du commentaire en direct des astronautes lors de l'alunissage et d'extraits de l'Opéra de Philippe Glass/Bob Wilson, Einstein on the beach, musique répétitive s'il en est).
La première “prise de parole” après le visionnement a mis le doigt sur l'air de “déjà vu” de ce film (ce ne sont pas les termes exacts employés et que j'ai oubliés). Françoise G. a fait remarquer que beaucoup de films par le passé, se sont laissés aller à une certaine facilité d'utiliser, dans la répétition, les mêmes plans, et auraient tout avantage à être sérieusement écourtés. Celui-ci, en l'occurrence, pourrait être écourté de 10 minutes, sans problème.
Une discussion un peu passionnée et houleuse a suivi cette première approche (la réunion s'est terminée à 18 heures et non à 17 heures!).
Mais nous étions au cœur de “l'enjeu” que je propose dans Ouvrir le cinéma. A juste titre, Françoise pouvait faire remarquer que c'était-là son avis, son jugement, et qu'elle aimerait bien que d'autres s'expriment (sous-entendu, donnent leur avis, leur point de vue sur le film). Quand j'ai prononcé le mot “ennui”, Françoise a fait remarquer qu'il ne s'agissait pas d'ennui. Il m'a été difficile de “redresser la barre” sans paraître autoritaire. En précisant que ce type de discussion engendrait des échanges d'opinions et pas un véritable travail, une ouverture, j'ai pris le risque de paraître vous empêcher de vous “exprimer”.
Si nous avions été dans une salle de cinéma, à l'issue d'une projection, ou dans une maison de la culture, j'aurais peut-être moi-même laissé venir mes jugements de goût et “ferrailler” avec les autres jugements.
En l'occurrence, et ce fut la même chose pour Changer de vie, le film était présenté pour travailler, questionner, à travers lui, ce qui fait que le cinéma est le cinéma (et pas de la photo ou de la peinture). Il s'agit d'une autre approche, qui demande non pas de censurer son jugement de goût, mais de le suspendre, de ne pas le laisser tout envahir tout de suite, pour nous permettre d'aborder les images et les sons, à la fois d'une façon sensorielle, affective, immédiate [5] (un peu plus tard Valérie parlera par exemple d'un sentiment de perte de repères) et intellectuelle (du “choc” des images — cf. Benjamin — quels raisonnements élaborons-nous ? Du choc de deux images, quelle image mentale, quelle pensée se crée ? — Cf. Le texte de Godard, ci-joint).
C'est la problématique que j'ai proposé dès le dossier de présentation du groupe. Aborder les films autrement que par le jugement de goût [6] , pour que chaque goût puisse justement garder cette part d'intime, d'irréductible. (N'oublions pas que nous aurons à parler de cinéma dans le lieu par excellence du savoir, l'école.)
[1] Comment doivent écrire les philosophes ?, lettre à Constantin Bourquin (1924), revue “Philosophie”, n° 54, juin 1997, p.4.
[2] Ou bien en dehors des séances (par écrit, par email, par téléphone je me charge de “diffuser“ aux autres vos remarques).
[3] Je vous signale deux ouvrages que vous pouvez m'emprunter mais que vous pouvez également trouver à la bibliothèque municipale André Malraux, rue de Rennes, qui a un étage réservé au cinéma. Esthétique du film, ouvrage collectif : Aumont, Bergala, Marie, Vernet, Nathan, 1988; Esthétique et sémiotique du cinéma, Editions sociales, 1977.
[4] Les travaux de Georges Didi-Huberman, aux confins de la philosophie,de l'anthropologie et de l'histoire de l'art m'ont énormément aidée pour l'élaboration de cet atelier. Je vous signale, notamment, Devant l'image, 1990 et Devant le temps, 2000, aux Editions de Minuit.
[5] Donc avant d'émettre un jugement de goût, mais “cela” va si vite que nous ne distinguons pas dans la vie courante — et heureusement — ces différentes “opérations” mentales.
[6] Comme les mots sont facilement trompeurs, il faudrait pouvoir faire la différence entre l'utilisation du mot goût dans l'expression “avoir du goût pour”, qui se rapprocherait du point de vue de Pascal Nouvel sur l'aspect psychologique du rapport à la connaissance, et juger quelque chose à partir de son goût personnel. Ce sont deux attitudes “psychologiques” différentes.
[7] Et même dans le plaisir immédiat de la première projection si nous sommes entraînés à “écouter” tout l'éventail de nos sensations, ce qui déclenche, il me semble, une plus grande attention à tout ce qui apparaît sur l'écran, une plus grande concentration. Sur le plan gastronomique, ce pourrait ¡tre la différence entre un gourmet et un glouton.
s