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Première partie
Introduction théorique
I. Le Sens de l'Économie
générale
1.
La dépendance de l'économie par rapport
au parcours de l'énergie sur le globe terrestre.
En partant d'un exemple simple tiré de la vie quotidienne
(changer la roue d'une voiture), Bataille va construire,
comme par paliers, son argumentation pour arriver à poser
les questions qui l'intéressent :
« N'y a-t-il
pas dans l'ensemble du développement industriel, des
conflits sociaux et des guerres planétaires, dans l'œuvre
globale des hommes en un mot, des causes et des effets qui
n'apparaîtront qu'à la condition d'étudier les
données générales de l'économie ?
pourrons-nous nous rendre les maîtres d'une
œuvre si dangereuse (et que nous ne pourrions abandonner
en aucun cas) sans en avoir saisi les conséquences générales ?
ne devons-nous pas si nous développons incessamment
les forces économiques poser les problèmes généraux liés
au mouvement de l'énergie sur le globe ? »
La science ne procède jamais autrement, mais il y
a tout de même une différence entre la physique
et l'économie.
Les questions posées « permettent
d'entrevoir, aussi bien que le sens théorique,
la portée pratique des
principes qu'elles introduisent. »
2.
De la nécessité de perdre sans profit l'excédent
d'énergie qui ne peut servir à la croissance
du système.
Comment Bataille décrit-il cette dépendance
mentionnée plus haut?
L'économie c'est-à-dire la
« production
et usage des richesses » est
entendue comme « un
aspect particulier de l'activité terrestre »
elle-même « envisagée
comme un phénomène
cosmique ».
Il y a donc l'énergie
de l'univers. Cela produit à la
surface du globe des mouvements rendant
possible l'activité humaine considérée
comme leur mise en œuvre selon
certaines fins. Mais,
« Mais ce mouvement a une figure et des lois
en principe ignorées de ceux qui les utilisent et
en dépendent. Ainsi la question se pose-t-elle :
la détermination générale de l'énergie
parcourant le domaine de la vie est-elle altérée
par l'activité de l'homme ? ou celle-ci, au
contraire, n'est-elle pas faussée dans l'intention
qu'elle se donne, par une détermination qu'elle ignore,
néglige,
et ne peut changer »
Cette méconnaissance fait « errer
gravement »
l'homme qui limite l'emploi des forces puisées dans
ces ressources matérielles à la
résolution de ses difficultés immédiates
en ignorant que celles-ci ont une autre fin qui est « l'accomplissement
inutile et infini de l'univers ». Dans
une note Bataille précise que le terme accomplissement « désigne
ce qui s'accomplit » et Infini « s'oppose
en même temps à la détermination limitée
et à la fin assignée ».
L'homme réalise donc ses propres fins à partir
d'un mouvement qui les dépasse, ce qui va mettre à mal
sa « prétention » à la
« lucidité ».
Il y a certainement moyen de concilier ces fins et ce mouvement,
mais :
« Encore devons-nous
pour les concilier ne plus ignorer l'un des termes d'un accord,
faute duquel nous œuvres tournent rapidement la catastrophe. »
L'organisme vivant « reçoit donc plus d'énergie
qu'il n'est nécessaire au maintien de la vie ».
Cet excédent,
« Il faut nécessairement
le perdre sans profit, le dépenser, volontiers ou non,
glorieusement ou sinon de façon catastrophique »
3. La pauvreté des
organismes ou des ensembles limités et l'excès
de richesse de la nature vivante.
« Affirmer qu'il est nécessaire de dissiper
en fumée une part importante de l'énergie produite
est aller à rebours des jugements qui fondent une économie
raisonnable. »
C'est l'exemple du café jeté à la mer
(en cas de surproduction et de baisse des prix je suppose)
que Bataille va utiliser pour nous faire imaginer sa pensée.
Même des cas de destruction de richesses comme celui-ci
qui ne peuvent pas être considérés comme
des actions désirables mais
plutôt malheureuses et signe d'impuissance sont inévitables
:
« C'est néanmoins le type de l'opération
sans laquelle il n'est pas d'issue »
Pour que la « totalité » de la
richesse produite soit employée à des
fins productives, il faudrait que l'organisme vivant qu'est
« l'humanité économique » puisse
être en mesure d'absorber toutes les forces de cette richesse
— « accroître
ses équipements »,
dit Bataille, et « Ce
n'est pas entièrement,
ni toujours, ni indéfiniment possible. »
Il y a forcément excédent, et cet excédent
doit être « dissipé par le moyen d'opérations
déficitaires » pour « accomplir
le mouvement qui anime l'énergie terrestre » et
auquel nous participons.
Mais c'est le contraire qui se passe d'habitude car l'économie
n'est jamais envisagée « en
général ».
On la considère à partir d'éléments
relevant du particulier, de systèmes particuliers
:
« L'activité économique, envisagée
comme un ensemble, est conçue sur le mode de l'opération
particulière,
dont la fin
est limitée. »
On part de « l'homme économique » (système
particulier), dont la fin est limitée, pour envisager
l'économie
dans son ensemble. On généralise à partir
d'une situation
isolée.
Mais l'homme ne se réduit pas à l'homme économique
: on a vu qu'il participait au mouvement de l'énergie à la
surface du globe :
Cette façon de penser « ne
prend pas en considération
un jeu de l'énergie qu'aucune fin particulière
ne limite : le jeu de la matière vivante en général,
prise dans le mouvement de la lumière dont elle est
l'effet », où il y a toujours
excès, où « la
question est toujours posée en terme de luxe »,
où le choix se limite au « mode
de dilapidation ».
«Mais l'homme
n'est pas seulement l'être séparé qui
dispute sa part de ressources au monde vivant ou aux autres
hommes. Le mouvement général d'exsudation (de
dilapidation) de la matière vivante l'anime, et il
ne saurait l'arrêter. »
Et même, au sommet de la matière vivante, cela
le voue « de façon privilégiée, à l'opération
glorieuse, à la consommation
inutile. »
« Éternel nécessiteux », l'homme nie cette
condition, mais cela ne change rien au « mouvement global de l'énergie ».
4. La guerre envisagée comme
une dépense catastrophique de l'énergie excédante.
La Part maudite est publié en 1949. Le Plan
Marshall,
aide financière et économique américaine à l'Europe
a été lancé en 1947. Une actualité fortement
présente dans ce passage.
« Le sol où nous vivons n'est quoi qu'il en soit qu'un
champ de destructions multipliées. »
Par effet de notre ignorance, nous subissons alors que nous pourrions « opérer » si
nous savions. Mais surtout :
« Elle livre surtout les hommes et leurs œuvres à des
destructions catastrophiques. Car si nous n'avons pas la force de détruire
nous-mêmes l'énergie en surcroît, elle ne peut être utilisée ;
et, comme un animal intact qu'on ne peut dresser, c'est elle qui nous détruit,
c'est nous-mêmes qui faisons
les frais de l'explosion inévitable. »
Les sociétés ont toujours pressenti ce danger et ont cherché « au
plus obscur de la conscience » à évacuer
ces « excès
de forces vives » : par les fêtes, les
monuments sans utilité,
et aujourd'hui, par la multiplication des « services »,
le secteur tertiaire qui comprend aussi le travail des artistes.
Mais ces « dérivatifs » ont
toujours été insuffisants,
d'où les destructions désastreuses par les conflits armés.
L'essor industriel au XIXe siècle a plus ou moins freiné l'activité guerrière.
À son tour il a généré un excédent provoquant
les deux guerres mondiales.
Si nous voulons éviter une autre guerre il faut absolument trouver les
moyens pour dilapider cette production excédante « soit
dans l'extension rationnelle d'une croissance industrielle malaisée, soit
dans des œuvres improductives, dissipatrices d'une énergie qui ne
peut
être accumulée d'aucune façon. »
« Passer des perspectives
de l'économie restreinte à cellles
de l'économie générale réalise
en vérité un
changement copernicien : la mise à l'envers de
la pensée — et
de la morale. Dès l'abord, si une partie des richesses, évaluable
en gros, est vouée à la perte, ou, sans profit possible, à l'usage
improductif, il y a lieu, il est même inéluctable de céder
ces marchandises sans contrepartie. »
« Le développement industriel de l'ensemble du monde demande
aux Américains de saisir lucidement la nécessité, pour une économie
comme la leur, d'avoir une marge d'opérations
sans profit. »
Ce passage se termine par un avertissement sinistre :
« Malheur à qui jusqu'au
bout voudrait ordonner le mouvement qui l'excède avec l'esprit borné du
mécanicien qui change
une roue. »
Impossible d'ignorer les lois du mouvement de l'énergie cosmique, dont
nous dépendons et que nous exprimons. Faut-il comprendre que nous sommes
une des formes par lesquelles se manifeste cette énergie ? Cf. dans La
notion de dépense, p. 44 : « Les
hommes se trouvent constamment engagés dans des processus de dépense.
La variation des formes n'entraînent aucune altération des caractères
fondamentaux dont le principe est la perte. »
s