entre les lignes entre les mots

………………………………... dans ce que vous dites » (michel balat)



Mise en forme à partir de ce que j'ai appelé des prises de notes, mais on pourrait dire aussi que ce sont des traces du séminaire de Jean Oury à Sainte-Anne auquel j'ai assisté de 2000 à 2014. [Ouvrez !]

langage langue parole
ritournelle

La ritournelle nous portera vers trois énigmes en forme de spirales

1 | Parler, ça n’est pas utiliser des mots
2 | Il y a quelque chose de l’ordre du langage, même si on ne parle pas
3 | Le langage, ça ne s’entend pas

Dans la première spirale, contentez-vous de chevaucher les mots et de vous laisser porter. Rythmez votre lecture selon votre guise ; on peut même recommander de considérer ce texte comme une partition (musicale) et de l'interpréter à haute voix !
L'énigme (avec son cortège de notes et des références) se développera davantage dans les deux spirales suivantes…


1 | Parler, ça n’est pas utiliser des mots [pdf]

parler
ça n’est pas utiliser des mots
ce qui se passe entre les mots entre les lignes
le sens Sinn
l’inconscient est structuré comme un langage
quand le parlêtre n’a même plus l’exercice de la parole ordinaire
il y a du désir
c’est peut-être une dimension éthique (de dire ça)
et si on ne dit pas ça

COMME un langage !
quand lacan dans son séminaire hurlait
COMME un langage !
Le langage c’est une structure
c’est en lisant tout autre chose que jean oury
un jour a pigé

entre le langage et la langue
il y a un abîme
qui ne se franchit pas comme ça
(ça c’est chez marc richir)
la langue
soumise à la dictature de l’institution symbolique
(marc richir)
la parole c’est pas la langue
la langue
c’est la commnauté linguistique le code qui permet qu’on parle mais quand on parle c’est infiniment plus riche

la parole
même avec la variété des mots
un tissu sur lequel on peut travailler

mais pour entrer dans le travail même de l’inconscient
ça n’est pas au niveau de la langue
ça n’est pas au niveau de la parole
le langage une structure
qui soutient toute la construction

les Vorstellungsrepräsentanz
????

ne pas fétichiser
ni la parole
ni la langue
ni le langage

le travail même de l’inconscient met cette dimension structurale en question

gisela pankow

qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend
(ça c’est chez lacan)
on a affaire à quelque chose de l’ordre du dire et le dire on l’a pas comme ça directement c’est ce que j’appelle la fabrique du dire
(ça c’est chez oury)
le dire ça se rapproche de la structure du langage
à condition de ne pas confondre langage et langue
dans ce qui se dit
c’est la parole
qui ne peut se faire que s’il y a un code plus ou moins bien foutu dans une communauté linguistique un code dans la langue
mais le dire
c’est plus proche de ce qu’il en est du désir
(oury)

il n’y a pas d’expérience qui ne soit prise dans le langage
la relation absolue entre la parole et l’expérience
bien perçue par benjamin
ajoute oury

et cela tient à distance les faux problèmes au sujet de l’origine et de la cause
le marx de 1844 tout ça y était déjà

jean oury nous relit ce passage de gadamer
commentaire sur hegel

« En examinant le début de la Logique nous avons compris que la nécessité immanente du développement dialectique de la pensée n’est vraiment pas atteinte par les objections soulevées habituellement parce qu’il commence avec l’être et le néant. Si on n’oublie pas la tâche que Hegel a proposée à la Logique on voit que la prétention scientifique de la Logique hégélienne est totalement cohérente. C’est une autre question de savoir si Hegel fonde d’une manière convaincante son idée de la Logique quand il se réfère à ce qu’on appelle la logique naturelle qu’il trouve dans l’instinct logique du langage. Le terme d’ « instinct » qu’emploie ici Hegel signifie manifestement la tendance inconsciente mais infaillible vers un but, telle qu’elle apparaît souvent dans le comportement animal, précisément comme une contrainte. L’instinct crée justement, d’une manière inconsciente et à cause de cela infaillible, ce que l’homme aurait pu faire avec conscience pour atteindre un but. En parlant de l’instinct logique on veut donc dire la direction et l’objet de la tendance de la pensée vers « le logique ». Au vrai, dans le langage se dépose la tendance objectivante de la raison telle qu’elle constitue l’essence du Logos grec. »

même
dans la pure logique gadamer
en arrive au langage
obligation d’en passer par la parole
le dire du côté du langage le dit du côté de la parole
le pont entre le dire et le dit 
c’est la logique poétique qui échappe à la dictature de l’institution symbolique
(marc richir)
habituellement ça n’est pas possible on se contente de la parole vide
plus complexe que la logique mathématique
la logique poétique est une logique pragmatique

l’inconscient est structuré comme un langage
on ne peut pas y échapper
on est condamné au langage
c’est la structure qui est en question

obligation d’en passer par la parole
pour lutter contre le biopolitique
l’homme est un parlêtre, pas seulement un vivant mais un existant
si on ne parlait pas il n’y aurait pas de lune ?
pas de soleil ?
non !
les interprétations matérialistes sordides qui aboutissent à beaucoup de choses — ça aboutit à ne pas avoir résolu la question que posait marx vis à vis de feuerbach, la question onto-théologique
s’il n’y a pas de résolution logique à ce niveau-là on s’éloigne à nouveau on sombre dans
on laisse la question de l’origine de la cause

la première aliénation la plus visible
l’aliénation religieuse
si on n’a pas surmonté cette dialectique ça va se représenter
la religion s’infiltrait
une nouvelle religion
la bureaucratie
la Haute-Autorité
— servants d’une religion avec des rites plus subtils que ceux du vatican
les servants de la religion

constellation

ne pas agir directement mais avec d’autres
une constellation
quand on est embarrassé vis-à-vis d’un malade, sur tous les plans
réunir autour du patient
une constellation

une constellation
pour que ça marche il faut pouvoir parler
par exemple une réunion d’infirmiers devant le directeur de l’établissement ça ne va pas marcher jamais un infirmier ne parlera

pour que la constellation soit efficace il faut modifier la structure de l’hôpital sinon ça ne marche pas du tout
s’il y a des clivages du cloisonnement ça ne marche pas
il faut une liberté de conversation en plus de circulation et ce niveau nécessite un travail d’analyse institutionnelle c’est-à-dire analyse du rapport entre les différents acteurs mais c’est la même chose pour l’école

qu’en est-il d’une constellation 
mode de traitement mais de quel ordre 

peut-être qu’on a remué la façon de parler
les gens de la constellation sans le savoir ne seront pas tout à fait pareils
mais ils ne sauront pas tellement pourquoi

comme si on avait changé
les prosdiorismes
la scansion la ponctuation de la parole même

c’est ça qui donne du sens
entre les mots entre les lignes
la formule de l’énigme du sens chez lacan

un effet sur le lieu

le pouvoir
l’analyse du pouvoir
où en est-on dans l’analyse institutionnelle 

le triangle
parole pouvoir mort
au milieu
la juridiction le jugement
C’est toujours en question
même quand on rencontre quelqu’un en consultation ça met en question la place qu’on a en tant que statut c’est les autres qui vous le donne mais si on s’en contente on est complice ça peut être corrigé par la parole

et parfois il est peut-être important de garder le pouvoir

ernst kantorowicz mourir pour la patrie et autres textes

la musique de paroles

ramasser la poussière et les paroles
(paroles d’un ash)

ash agent de service hospitalier

la dimension de la parole

jean oury est absent
michel balat vient à sa place
l’expérience de la clinique de château-rauzé avec les blessés, en phase d’éveil de coma après un accident

il faut qu’il y ait quelque chose qui relève de la dimension de la parole dans ce qui est fait avec les blessés
quand 

les réunions avec le blessé
« L’équipe comprend aussi les blessés. Tout se passe uniquement avec la parole, on cause de façon très particulière : comme en psychanalyse : dire tout et n’importe quoi. On a plein d’idées, on associe. Des fois, ça marche : par ex, au cours de la séance, ou le lendemain ou surlendemain, la personne se met à produire des signes (bouger les doigts, les paupières). Complexité inouie : sans doute, on a dit quelque chose, mais on ne sait pas quoi. »

la mèche de cheveux (récit)

« D… est depuis plusieurs mois dans la phase végétative de l’éveil de coma. Difficile pour l’équipe de s’occuper de ce qui ne paraît être qu’un corps. Nous regardons en sa présence une vidéo réalisée pour dérouler une journée ordinaire. Le lever. Le bain. La sortie du bain… Tout s’accomplit sans sa participation. Les yeux ouverts, le regard vide, D… absorbe passivement les gestes qu’on exécute pour lui. La caméra est maintenant dans la chambre. Son corps, lavé, essuyé, allongé sur son lit, lentement habillé par Mme H. ; les traits de D…, ceux d’un adolescent plutôt agréable à regarder ; ses cheveux, coiffés… Mais une mèche est encore rebelle. Mme H., d’un geste délicat, d’une caresse, redonne pureté à son front. Une ombre passe sur le visage du jeune homme. Saisie, Mme H. tente, en répétant son mouvement, de renouer ce contact furtif… Inutile, D… est à nouveau retourné dans son monde.
Durant plus d’une heure de temps, ce moment lumineux fut porté à l’incandescence dans notre groupe. Mme H. sut évoquer avec nous cette ombre portée du désir, cette invite quasi maternelle à l’abandon. Depuis, D… a repris la parole »

dits
devant lui dans la séance
ce sont les mots
qui ont frappé
pas l’ombre sur le visage
c’est la dimension du langage qui
fait que quelque chose peut se passer

ce qui s’est passé est beaucoup plus que de l’ordre de la sensation — même s’il y a de ça
(suite à une question dans l’amphi)

peirce la fonction scribe

il s’agit de donner une consistance langagière
introduire des mots qui permettent au jeune homme d’être autour d’un point de vérité même si c’est exagéré
c’est dans ce registre-là que le travail autour du blessé se situe
on rencontre plus que
des sensations
mais un sens dont on peut témoigner par le langage
quand le blessé est concerné touché par une parole si idiote apparaît-elle
la question du sens ne peut advenir que dans le langage
ressentir des affects ça n’est pas au niveau du sens

la fonction scribe
on inscrit quoi 
on a inscrit quelque chose
mais sur quoi 
les choses qui se passent au cours de la réunion autour du blessé auraient pu passer inaperçues
la fonction scribe est totalement solidaire d’un autre concept qui est la feuille d’assertion

quand on parle de feuille d’assertion on n’est pas dans le registre de la feuille de papier mais dans

quelque chose qui tient
quelque chose qui tient suffisamment pour pouvoir rassembler des choses éparses
michel balat rappelle ce que raconte françois tosquelles
comment envisager que des paroles prononcées dans un groupe aient un effet immédiat sur un autre groupe si on n’envisage pas quelque chose qui permette de tenir ensemble tout ça

la feuille d’assertion 

quelque chose
qui ne fait pas tenir comme un creuset
mais comme une feuille sur laquelle ce qu’on écrit vient se rajouter à tout ce qui a déjà été écrit

quand on écrit une phrase
il y a une solidarité entre les mots grâce à la feuille
quelque chose qui fait tenir
où qu’on soit

la feuille d’assertion peut être très vaste

par exemple
suite à une séance d’analyse on peut se mettre à comprendre quelque chose suite à des paroles échangées avec un ami qui ne sait pas qu’il fait partie de la feuille d’assertion. C’est une feuille portable comme l’ordinateur ce qui permet que ce qui est inscrit puisse être considéré sur le même niveau
et il peut y avoir plusieurs niveaux
cf. le millefeuilles de jean oury
cf. le texte déjà cité le corps et ses entours : la fonction scribe

michel balat donne l’exemple d’une jeune fille de 14 ans en phase végétative de l’éveil avec laquelle
si j’ai bien compris
une réunion n’a pu se faire mais l’équipe de château-rauzé a pu parler d’elle pendant deux heures autour d’une vidéo et a eu l’impression d’avoir dit quelque chose
le lendemain alors qu’aucune des personnes présentes à la réunion n’était à la clinique cette jeune fille sort de la phase végétative

la feuille d’assertion
va au-delà de la simple présence du contour corporel des personnes
toute une partie du travail en psychothérapie institutionnelle est de fabriquer des feuilles d’assertion
faire en sorte que ce qui est écrit dans un coin ça passe dans un autre
ce n’est pas une question de communication michel balat donne en exemple les nombreux mails que l’on reçoit que l’on ne lit pas parce qu’il n’y a pas d’investissement rien ne passe
pour conclure ce point il précise que feuille d’assertion et fonction scribe sont à ce point solidaires que l’on pourrait peut-être faire l’économie de l’un des deux termes

la feuille d’assertion
inscription sur un terrain préparé
on pourrait dire qu’il y a certains établissements qui sont durs de la feuille
alors pourquoi assertion
(terme qui ne plaît pas à jean oury)

l’assertion 
(version simplifiée)

« C’est peut-être pas la peine de définir assertion, simplement de remarquer qu’on peut inscrire certaines choses et pas d’autres. Et ce n’est pas du fait de la feuille ! sinon, ce ne serait pas des assertions. Comment est-ce possible ? Ah, bien voilà ! Si on le savait ! Si on le savait on n’aurait pas besoin de tous ces concepts. Il y a quelque chose de très étroitement lié au hasard. C’est par hasard que l’on inscrit. Si cela ne l’était pas, cela voudrait dire qu’on pourrait définir les causes claires de cette inscription, ce qui reviendrait… sans doute… pour faire gros… à nier l’inconscient. »

« On sait pas !»

l’inscription
on inscrit toujours par hasard
la phrase favorite de torrubia je vais peut-être dire une connerie
cette dimension de pouvoir dire une connerie

c’est d’une certaine façon pouvoir faire sa place au hasard je ne suis pas près à suivre les chemins qui me sont suggérés (déjà parcourus)

la règle
se mettre dans une certain état où on ne soit pas tout à fait dans les chemins creux tracés depuis longtemps

les pataugas du savoir

michel balat se souvient d’une visite de médecins canadiens à château-rauzé très compétents très au fait de tout
à un certain moment l’un d’entre eux demande s’il peut intervenir
à partir de l’histoire de la personne ce médecin avance une hypothèse psychanalytique
de la plus belle eau
mais ça a tout foutu enl’air
il a fallu une demi-heure ou trois quart d’heure pour reprendre retisser quelque chose dans la discussion

même si les pataugas se transforment en escarpins

peirce le tonal

une certaine manière de parler
la fonction scribe c’est pas tout
pour permettre à ce hasard de surgir
et que quelque chose s’inscrive

un concept indispensable pour faire la différence entre ce discours que tout le monde peut tenir
pour le dire vite
le discours du savoir

Les mots sont trop durs
ils manquent de souplesse
on ne voit pas l’invention

Il faut pouvoir sentir une certaine légèreté dans les mots
que ça puisse surgir
ça se rapproche de la question de la poésie

quand deux mots se rencontrent pour la première fois (un poète canadien)

pour pouvoir donner sa chance au hasard on ne peut pas parler n’importe comment
ce n’est pas le choix du vocabulaire

le tonal
la tonalité
le sens des mots
le registre de l’énigmatique

le mot (le mot ton) peut prêter à confusion
rien à voir avec le ton de la voix
avec le ton musical 
oui
un peu

il ne sufffit pas d’avoir toutes les notes de musique pour faire un accord

ce qu’on pourait appeler la tonalité
le sens des mots un mot un ton de signification
jacques lacan a souvent fait l’éloge de l’ambiguïté dans les propos de l’analyste toujours laisser quelque chose d’énigmatique ouvert à une multiciplicité de sens ce qui ne veut pas dire n’importe comment
quelque chose qui vient spontanément

le signe qui prouve que l’on est bien dans un champ de possible

le possible présenté à l’autre
il est possible d’entendre beaucoup de choses dans ce que vous dites

la fonction scribe
pas tout
disposer d’une certaine façon de parler pour
on l’a à l’œil il bouge

en partant de la priméité (peirce) et
en abordant la fonction scribe la feuille d’assertion et l’espace tonal
michel balat nous a décrit un premier aspect des réunions de château-rauzé

le dit et le dire

La distinction
à maintenir entre le dit et le dire
jean oury la rapproche de celle entre la langue et le langage

la langue
table d’usage de la parole (pour se comprendre le code)
Le langage
c’est une structure
l’inconscient est structuré comme un langage (lacan)

le langage le dire
la langue la parole le dit
le discours c’est encore autre chose

la fabrique du dire

a priori
quand on parle à un schizophrène
apparemment
on parle au niveau de la parole on parle dans la même langue mais on s’aperçoit que quelque chose ne fonctionne pas
jean oury a parlé de la fabrique du dire
il y a de la répétition de la stéréotypie
on reste au niveau du dit
quelque chose est détruit

où en est-on du dire et de sa fabrique

cela rejoint ce que dit jacques lacan
le langage c’est une structure de l’ordre du signifiant
une analyse de construction
Vorstellungsrepräsentanz
les signifiants qui viennent construire l’arrière-plan existentiel auquel on ne fait pas attention mais qui fait que ça tient
chez les schizophrènes c’est ça qui ne tient pas jean oury parle d’un pensionnaire à la borde qu’il voit tous les jours
même cinq minutes
ce sont ces cinq minutes qui lui permettent de tenir
il fait à nouveau allusion au texte de kleist
avec ce sentiment de tenir l’âme le centre de gravité de cet homme même s’il n’est pas une marionnette
si je ne tiens pas ça se disloque

le semblant c’est l’agent du discours

le semblant
fonction inchoative (démarrage) de l’agent du discours
qui peut être tenu par l’un des quatre discours
mais le tout n’est mis en question
en circuit
que par le discours analytique
là où il y a quelque chose de l’ordre du désir
chez le schizophrène
il y a
des troubles du semblant (car troubles au niveau du désir)


intervallo

« Voici donc, remises sur le tapis, les questions vives du juridisme, précieuses à l’histoire du système industriel et qui nous filent entre les doigts. Précieuses, car enfin malgré les bruitages d’ambiance, on n’abolira ni la mort, ni le pouvoir, ni la parole. Quant à les saisir, ces trois questions fameuses avec lesquelles se déclare la vie en société, c’est-à-dire s’organise la reproduction des sujets, nous pouvons toujours courir ; elles sont d’abord justiciables, selon un mot que j’emprunte à Eliot, d’une appréhension sensuelle de la pensée, et si j’avais à décrire d’un trait leur contenu, je dirais : un chaos.
Les institutions, c’est cela, la mort, le pouvoir, la parole, noués par les savoir-faire du droit, de ce que nous appelons en Occident le droit. À ce jeu, la science fiche le camp ; le politique fait son entrée, l’humanité affronte le tourment d’exister, s’échafaude le gouvernement pour le salut. »
Pierre Legendre, Présentation, in Ernst H. Kantorowicz, Mourir pour la patrie et autres textes, Fayard, 2004, 2e édition, p. 17.

« La tâche que je m'étais fixée moi-même était, au départ, de cerner le concept d'herméneutique. J'avais rencontré l'expression dans les écrits des romantiques allemands, puis dans les usages qu'en avaient faits Husserl et Heidegger, en y voyant une nouvelle formule. Avant eux, la philosophie qui dominait, le néo-kantisme, partait d'un fait : l'existence des sciences. C'était son premier et dernier argument. Je me rappelle avoir appris de mon maître Paul Natorp, professeur à Marbourg : « Qu'est-ce que le donné ? Le donné est ce qui est à déterminer par les sciences. » Le débat philosophique tout entier s'en était vu extraordinairement rétréci et limité. C'est même encore visible dans le courant de pensée qui s'est dessiné en Allemagne dès après la première guerre mondiale sous l'appellation d'existentialisme. Ce courant constitua davantage une riposte au néo-kantisme qu'une pensée radicalement nouvelle. Je suis devenu de plus en plus conscient de cette situation au fur et à mesure que j'ai progressé dans mes propres recherches et au cours des rencontres que j'ai eu l'occasion de faire. Je me rappelle en particulier mon voyage à Mendoza, en Argentine, après la seconde guerre mondiale et la rencontre que j'y fis de collègues italiens, français et anglais après la longue période d'isolement que nous avons connue en Allemagne. Je fus frappé par la masse de choses qu'on ne peut développer qu'à condition de parler à quelqu'un et d'avoir un réel échange avec lui. On jouit dans le dialogue d'une sorte d'avantage que la pure et simple transmission d'un savoir monologique, qui n'advient qu'en imposant sa vérité, ne peut atteindre. Autrui ne me donne en retour que ce qui nous préoccupe tous deux : le secret d'un échange authentique réside dans cette conviction. Cette idée était totalement inexistante dans l'Allemagne d'alors, sauf dans l'argumentation catholique et juive (je pense à Martin Buber), où elle apparaissait dans un style plus littéraire que philosophique. Mais dans les milieux académiques cette idée du dialogue était tout à fait absente. La leçon magistrale était une lecture faite devant un auditoire, ce que dit exactement le terme allemand désignant une leçon : Vorlesung. » Le développement des sciences dans le monde occidental a provoqué un privilège pratiquement incroyable du monologue. Lorsque les mathématiques se sont libérées de l'envoûtement qu'elles exerçaient comme nouvelle rationalité pour devenir une sorte d'instrument de maîtrise de la nature, cela a constitué une sorte d'événement extraordinaire. Galilée, c'est cela. La science moderne réside en ceci : le langage y est devenu un instrument. Elle fait donc le contraire de ce que nous faisons lorsque nous nous entretenons en parlant. Nous ne trouvons jamais de mots capables d'exprimer quelque chose de définitif. […] Nous devons toujours garder présent à l'esprit que nous réfléchissons à partir de conceptions abstraites du langage, acquises dans l'horizon du concept de science des temps modernes. Ces conceptions ne nous viennent pas de la parole et de la vie elles- mêmes. Si mon intérêt s'est porté vers la philosophie grecque, c'est pour ranimer les éléments positifs disparus au cours de cette destruction scientiste de l'expérience de la communication. »
Hans Georg Gadamer, entretien, Le Monde, 3 janvier 1995, propos recueillis par Jacques Poulain, traduits de l'allemand par Elfie Poulain;

« Selon Gisela Pankow le processus psychotique attaque le vécu du corps et/ou ses limites, et crée ainsi des failles dans l'élaboration symbolisante de la parole. Étudiant l'image du corps dans la psychose infantile, la psychose hystérique, la schizophrénie ainsi que dans certaines maladies psychosomatiques, elle montre que des lacunes dans l'image du corps vécu chez les psychotiques correspondent et s'articulent à des distorsions ou à des ruptures dans la structure familiale de ces malades.
Ces analyses la conduisent ainsi à concevoir une approche qui élargit le champ de la psychanalyse classique: il s'agit d'accéder, par le biais d'un élément médiateur, le modelage, au vécu du corps, à l'éprouvé du sensible informulable en mots, c'est-à-dire au domaine du psychiquement «non représentable», pour tenter de le traduire en paroles symbolisantes. »
Présentation de l'ouvrage de Gisela Pankow, Structure familiale et psychose, Champs essais, sur le site de Flammarion.

Lecture de Sur Le Théâtre de marionettes de Heinrich von Kleist par Jean Oury.

fine intervallo


2 | Il y a quelque chose de l’ordre du langage, même si        on ne parle pas
3 | Le langage, ça ne s’entend pas


(En construction. Mise à jour  : 3 août 2020)


[retour]


jean-luc godard (page en constructioin)

observer, deviner, pratiquer

GENÈSE
au cours des séances
depuis le début


STYLE
à table

carnets de bord
> carnets d'annick


REPÈRES
à lire
constellation

entre nous
> jean oury

> jean-luc godard

> jean-marie straub

> georges didi-huberman

> p. j. laffitte/o. apprill


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le livre impossible

y a trop de lettres

« il est possible d'entendre beaucoup de choses ……………………………….…………



Transcription et mise en forme d'une partie des propos de Jean-Luc Godard en conversation sur Instagram le 7 avril 2020 avec Lionel Baier, responsable du département cinéma de l'ECAL. [Ouvrez  !]

C'est simple : j'ai voulu déposer sur une même page (faire tenir ensemble) deux manières d'aborder la question du langage. Il ne s'agit pas de les comparer, ni de les mettre en rapport car elles ne sont pas du même ordre. Mais c'est la phase initiale indispensable pour avancer personnellement sur ce terrain. Préciser à partir de quoi je peux commencer le travail.

c’est
enfin je crois du reste que
le virus sur lequel on donne pas beaucoup d’informations
justement ça vient de la théorie de l’information de shannon et ensuite
le
d’autres
le virus d’une communication
il a besoin d’un autre
d’aller chez le voisin comme certains oiseaux
pour y entrer
et donc quand on envoie un message même sur un réseau on a besoin de l’autre
pour entrer chez lui !
donc
ça m’étonne un peu qu’ils ne parlent pas de l’information
je m’y suis intéressé très tôt

comme je racontais à fabrice j’ai trouvé même une fois par la théorie de
quand l’arn a été
n’avait pas été trouvé encore
une discussion avec l’un de mes oncles jacques monod
qui a eu
qui avait
j’ai oublié
mais il disait
ça va toujours tout droit l’adn
comme ça
je lui dis
et l’arn qui communique l’adn
je lui dis
mais
et si l’arn va en arrière ? deux trois mois après ils ont trouvé la transcipt…
inverse
donc
ça m’a toujours intéressé


non
pas du tout !


trop peu !
non
parce que
il(s) font pas attention !
ils voient que le virus va en avant
ils pensent pas qu’il va en arrière


vous demandez à un médecin
il pense pas
que la maladie qu’on a ça peut aller en arrière


oui
mais ça
c’est la
c’est le capitalisme
c’est la
c’est la croissance !


pour moi la courbe
c’est ça
pour eux
la courbe
c’est ça
c’est pas la même chose !


l’important
c’est ça
pour pouvoir faire un graphique
qu’ils appellent courbe
ils oublient chaque fois que ça fait ça !
ils ne pensent que ça !
bah
voilà !
c’est tout !
moi je ne dis rien d’autre
je remarque ça !
c’est tout !


ils font aussi des vraies courbes
mais en fait
ils montrent un diagramme
un diagramme n’est pas une courbe
donc
tout ça la langue fausse tout
je crois plus tellement à la langue
je pense que
le grand dan…
ce qui va pas
mais comment changer !
c’est l’alphabet
y a trop de lettres
il faudrait en supprimer beaucoup
et puis après passer à
autre chose qu’ont toujours fait les peintres

oui
ce que n’a pas fait la photographie quand niepce
puis daguerre l’a
l’a un peu inventé

ils ne pensent pas qu’ils faisaient qu’une copie
dans quel sens allait cette copie
je ne sais pas
les peintres n’ont jamais fait de copie !
enfin
y a des copieurs qui vont copier au louvre
qui sont le
pour ça


mais le peintre lui-même
cézanne
ou d’autres
ça a été porté
c’est drôle parce que la photographie a été inventée quand même avant les impressionnistes
et les impressionnistes
ça a été
une réaction
je pense
contre
contre ça
et puis ensuite
c’était à peu près fini
c’était devenu tout autre chose.


oui
il faisait des photos comme ça
il y a de très belles photos


un peu floues quand il peint sa femme dans un tub
ou des choses comme ça
zola faisait beaucoup de photos
il s’est beaucoup disputé avec cézanne aussi


oui !
la
velasquez déjà
simplement
quand ils peignent la famille royale
c’est pas un cadeau pour la famille royale !
et


non
mais tout ça
c’est autre chose
la peinture est — ou —
ce qu’était la peinture pour moi
est restée
je gribouille quand je fais de la peinture
mais
de faire ça avec son pinceau
et pas la même chose que
que faire ça !
j’ai fait un film autrefois qui s’appelait comment ça va ? et où anne-marie jouait une secrétaire de la cgt qui analysait
en fait ce qu’on faisait quand on faisait ça


bah
à la ligne et comme ça
et qu’on ne disait plus rien
c’était
c’était contre libération
à l’époque


euh
parce que je trouvais
ils faisaient pas assez de photos
ou
ils étaient pas assez en prise sur
comme c’est venu un peu après
en prise sur
je les avais même traités un moment
je leur avait dit ordure de journalistes !


qui est quelque chose qui est resté quand même


parce que
c’est comme ça !
qu’on soit sur une imprimante ou sur une ancienne ibm
c’est ça !
ça ne corresp…
et elle analyse bien à partir de deux photos
combien ça
ne rend pas compte de
de ça
et je m’interroge un peu dans le film que je vais faire sur
ce qu’a cru ou ce que voulait niepce
quand il voulait juste
copier la réalité et puis après
la fixer en plus !
fixe
l’idée fixe
de fixer sur
oui
de fixer sur papier
et c’est du reste
à ce moment-là
au moment de fixer sur le papier
que daguerre l’a escroqué
et


oui !


oui mais déjà sur plaque de verre avant !
il fallait le fixer sur plaque de verre


donc
c’était
il fallait à la fois prendre la photo dans la chambre noire !
mais ensuite que
ce qu’on avait dans la caverne de platon
on la fixe sur papier


je sais pas

je crois plus
je crois plus à l’alphabet
il y a tellement de possibilités dans l’alphabet
on le sait bien aujourd’hui
puisque même google, la maison-mère s’est appelée alphabet


alphabet
donc
voilà
moi
je pense
la guerre en irak
ça a été que les américains
inconsciemment
dans leur
for intérieur
chateaufort intérieur
voulaient prendre la main sur l’écriture
chaldéenne
ou je sais pas quoi
c’est-à-dire la naissance de l’écriture
c’est ça qu’ils voulaient
l’amérique
inconsciemment !
ils savaient pas !
si on dit ça à georges bush


il niera même pas
il comprendra pas de quoi on parle !


aussi !
je connais pas assez le japonais ou le chinois
comme ça
mais je conçois, !
je conçois qu’il y a les deux pendant longtemps
et puis ils en sont venus à ibm
à la machine à écrire
à ça
ils sont venus aussi mais ils ont gardé quelque chose comme dans le théâtre no japonais ou d’autres choses comme ça
bien sûr
mais très tôt
mais ça a pris beaucoup de temps
le premier bouquin de philosophie et qui m’ait vraiment marqué
c’était un bouquin de brice parain
un philosophe écrivain français
qui a été à un moment à la nouvelle revue française et qui avait écrit un bouquin qui s’appelle recherches sur la nature et les fonctions du langage
Et j’avais quinze-seize ans
et
et j’ai cessé de parler pendant un an ou deux ans
ma famille s’est inquiétée comme ça !
et c’est resté petit à petit !
et j’ai lu un peu d’autres choses comme ça
et du reste
brice parain
je l’ai fait joué dans vivre sa vie où il fait à un moment le philosophe avec
il raconte l’histoire de la mort de portos d’alexandre dumas avec anna karina
et aujourd’hui
ça reste
et la peinture est
pour moi
le langage n’est pas du tout la langue
la langue
c’est toutes les langues
quelle est leur origine unique ou pas
je sais pas
peut-être qu…
on se dispute pour ça
c’est la langue
javanais
japonais
sauf peut-être une ou deux un peu différentes comme le basque
le hongrois et le finlandais


et le finlandais
mais
c’est tout
le langage
c’est un peu autre chose que la peinture a cherché
je crois que tous les grands écrivains
si on
que ça soit beckett
james joyce ou d’autres avant ou les grands poètes d’autrefois comme dante ou
j’ai oublié
des tas de noms
mais ils cherchaient à aller
c’est très net chez joyce
ils cherchaient à aller au-delà de la langue
pas une hist…
ou en-deçà de la langue
même les lettristes
isidore isou
que j’ai connu
cherchaient aussi à aller en-deçà ou à côté ou au-delà de la langue
et ça
c’est le langage
qui est un mélange de parole(s?) et d’image(s?)
comme j’ai dit dans mon dernier film
c’est un peu
c’est un peu primitif
mais ça y vient
parce que la parole

c’est pas la parole
c’est ma voix !
si je veux entendre un peu ma parole
comme disait malraux
je crois
il faut l’entendre avec la gorge
on s’entend soi-même avec la gorge
mais pas avec la langue ou les oreilles


et donc
il y a autre chose
c’est
je sais pas !
c’est
bernanos a ce côté-là aussi
Et là donc
je dis
le langage
sans trop savoir !
un mélange de cinéma
avoir les
peut peut-être lui à cause de sa technique d’avoir les deux
c’est pas du son au sens
pas au sens
premier !
bien que ça puisse être les sons de la rue ou comme ça
suivant le cas
mais
et qui devrait être véhiculé par le théâtre
qui a pris
u…
qui a pris une mauvaise place parce qu’ils font plus de rhétorique que de
que de parole


mais
on peut !
les sons
c’est le bruit de la rue
que ça soit les mots
comme ça
même des mots qui ont du sens !
mais il n’y a pas il n’y a pas que ça !
ou y a trop peu
ou y a trop
les politiques sont noyés là-dedans !
comment voulez-vous qu’si… !…
essayez de vous penser en chef d’état deux minutes
on
on abandonne !
tout le monde est comme ça
donc on laisse faire l’état !
c’est autre chose qui est liée
je sais pas
à la chimie
à l’amour
à trente-six
moi aussi
je m’y perds un peu sauf quand j’ai un projet
j’essaye de préciser peu à peu
il peut y avoir ça
je peux y mettre un peu
d’où de changer un petit peu
plutôt que de diffuser un film dans une salle
le diffuser dans un théâtre
rien que ça
ça fera
c’est un peu autre chose
pour les gens qui (inaudible)
c’est tout !


oui !
mais sans se le dire !
sans se le dire
en le faisant
oui
en le faisant !
la peinture est action avec les mains !
les mains sur l’ordinateur ne sont pas vraiment action
l’action
elle est ailleurs


si possible
à la main
avant
je tapais à la machine et puis
depuis longtemps
je
j’aime mieux écrire à la main
très souvent
j’écris tout petit à la main
et
et je ne peux pas me relire
donc
je dois le ré-écrire
déjà
c’est déjà quelque chose
ça
boileau avait raison
vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage et le polissez et le repolissez sans cesse


bien sûr
on sait pas
pas exactement !
ça varie
ou on change !


et puis
j’efface beaucoup !
je me souviens dans l’histoire du cinéma
y avait une phrase de maître eckart qui disait
seul celui qui efface peut écrire
oh tout ça c’est


ils lisent et ensuite c’est pas de la parole
donc elle une
deux trois
quatre fois faussée
et si elle dit quelque chose de vrai
c’est
peut-être à nous de le découvrir et d’en faire quelque chose


ce qu’on ne fait pas ! on dit
oh
il déconne !
et puis
on se croît libre de tout péché !


y en a de temps en temps qui ont une parole
je me souviens d’un pamphlétaire
et qui a eu du succès à un moment
qui s’appelle henri guillemin lui
avait une certaine parole
et on pouvait l’écouter raconter tel épisode de l’histoire de france ou comme ça
mais il y avait quelque chose !
tchernia à côté c’était
non !
c’était moins bien !


ouais et puis
c’était un bon théâtre
un bon théâtre historique


ça valait mille séries sur la révolution française ou
je sais pas


la langue
c’est ce qu’on parle tous !
on est comme ça
je suis pas contre !
mais les trois quart des bons écrivains ou des
ils font autre chose que le commun des mortels avec la langue
c’est pour ça qu’ils deviennent connus
célèbres ou
pas célèbres
du tout
mais y a autre chose
et aller plus loin
ce qu’avait déjà un peu
en partie !
parce que la peinture n’avait pas tout !
mais qu’elle avait ça d’aller
ce qu’il faut bien appeler
le langage
la science
aussi ils sont empêtrés dans les mots et dans les chiffres
sinon il y aurait pas de
il y aurait pas de catastrophes comme ça et comme ça
non
c’est je sais pas
dans les chiffres y a beaucoup
y a beaucoup de lettres !


oui
parce que
y cherchent !
y cherchent et y font pareil !
ils ont un œil sur un télescope ou sur un microscope ou sur des dessins et y cherchent

après
c’est quand ils trouvent
ils retombent dans la langue
y en a beaucoup moins
y en a moins qui retombent pas dans la langue et qui sont pas connus tout de suite ou qui ont des problèmes
mais comme ça
ou qui deviennent fous




[Ouverture de la page : 26 juin 2020. Dernière Maj le 3 août2020. L'image illustrative est une capture écran partielle d'une page du quotidien Libération, elle-même capture écran d'Instagram !]

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