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pensée binaire/pensée trinitaire 

Gilles Deleuze, Foucault, Minuit, 1986-2004, p.89.
L'étude précédente nous mettait en présence d'un dualisme très particulier de Foucault, au niveau du savoir, entre le visible et l'énonçable. Mais il faut rermarquer que le dualisme en général a au moins trois sens : tantôt il s'agit d'un véritable dualisme qui marque une différence irréductible entre deux substances, comme chez Descartes, ou entre deux facultés comme chez Kant; tantôt il s'agit d'une étape provisoire qui se dépasse vers un monisme, comme chez Spinoza, ou chez Bergson ; tantôt il s'agit d'une répartition préparatoire qui opère au sein d'une pluralisme, C'est le cas de Foucault. Car, si le visible et et l'énonçable entrent en duel, c'est dans la mesure où leurs formes respectives, comme formes d'extériorité, de dispersion ou de dissémination, en font deux types de « multiplicité », aucun des deux ne pouvant être ramené à une unité : les énoncés n'existent que dans un multiplicité discursive, et les visibilités, dans une multiplicité non-discursive. Et ces deux multiplicités s'ouvrent sur une troisième, multiplicité des rapports de forces, multiplicité de diffusion qui ne passe plus par deux et s'est libérée de toute forme dualisable. Surveiller et punir ne cesse de montrer que les dualismes sont des effets molaires ou massifs qui surviennent dans « les multiplicités ». Et le dualisme de la force, affecter-être affecté, est seulement l'indice en chacune de la multiplicité des forces, l'être multiple de la force. Il arrive à Syberberg [1]de dire que la division en deux est la tentative de répartir une multiplicité qui n'est pas représentable en une seule forme. Mais cette répartition ne peut que distinguer des multiplicités de multiplicités. C'est toute la philosophie de Foucault qui est une pragmatique du multiple.

Dany-Robert Dufour, Les Mystères de la trinité, Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, 1990.
L'homme est trinitaire. Qui dit « trinité » évoque, bien sûr, le dogme central de la religion chrétienne, le mystère de la Sainte Trinité. Mais cet arbre imposant et deux fois millénaire ne doit pas cacher la forêt : je tenterai de montrer que la « trinité » existe aussi, sous des formes spécifiques, dans les polythéismes et dans les autres monothéismes. Mieux : non seulement elle est constante dans le champ narratif, symbolique et religieux, mais elle est également identifiable comme forme philosophique, logique, linguistique, clinique… : il existe une pensée trinitaire qui a connu des actualisations multiples. [Avant-propos, p.9]

Le binarisme, pour être plus récent, n'est pas né d'hier. il est le produit d'une pensée née en Grèce il y a plus de 2 500 ans, d'abord couvée par des petites sociétés marginales (le pythagorisme, l'orphisme…), puis construite en système par le platonisme et, depuis lors, poussée à ses plus extrêmes conséquences avec une cohérence rigoureuse. La forme binaire qui domine aujourd'hui est le résultat d'une longue évolution au cours de laquelle se sont forgées les grandes catégories de la raison dont l'Occident s'est armé : le dualisme, la dialectique, la causalité et, aujourd'hui, le calcul binaire… [Avant-propos, p.9-10]

Comment caractériser ces deux hommes en lutte ? L'homme trinitaire acceptait la mort, il faisait de la représentation de la mort dans la vie le fondement de sa symbolicité et du lien social : pour que deux soient ensemble, il fallait qu'un troisième prit de gré ou de force, réellement ou symboliquement, la mort sur lui. L'homme binaire, au contraire, éloigne la mort de la socialité, il veut outrepasser, il veut la « grande santé », comme disait Nietzsche. Déjà, il manipule la reproduction ; déjà, il se reproduit de moins en moins. L'homme binaire veut, en fin de compte, l'éradication de la mort et, cela, sûrement depuis les origines : les pythagoriciens sont les premiers à avoir renoncer à fonder une socialité sur le sacrifice et donc sur la reconnaissance de la mort. L'homme binaire veut l'éternité. [Avant-propos, p. 10-11]

Nous sommes, en tant que sujets parlants, sujets du trinitaire.
Par trinitaire, j'entends une définition de la parole, du Verbe, impliquant un ensemble de trois termes, irréductible aux habituelles relations à deux termes utilisées par la raison pour frayer sa route : quel que soit le jour sous lequel on l'éclaire, à un moment ou à un autre, la parole se révèle posséder la propriété « trois en un » ou propriété « trine ». Qu'est-ce que la propriété trine ? Serait-elle un avatar de la fameuse triade hégelienne « unité-scission-réconciliation » ? Je me contenterai, pour l'instant, d'indiquer que la propriété trine n'a rien d'une glorieuse vue de l'esprit qui anticiperait là sa fin et sa réalisation absolue. La trinité dont je parle, chaque être parlant ne cesse d'en faire l'immédiate expérience : pour la saisir, il suffit d'évoquer l'espace humain le plus banal qui soit, lieu commun de toute l'espèce parlante, celui de la conversation : « je » dit à « tu » des histoires que  « je » tient de « il ».
[Première partie : trinité et binarité, p.16-17]

Note

[1] Hans-Jurgen Syberberg, Parsifal, Cahiers du cinéma-Gallimard, p. 46. Syberberg est un des cinéastes qui ont particulièrement développé la disjonction voir-parler.

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