Une pensée du clinique
L’œuvre de Viktor von Weizsäcker

Cours de Jacques Schotte (1984-1985)
Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation de l'université de Louvain.
Disponible en pdf. Au gré de votre familiarité avec les extraits choisis pour former cette page, vous pourrez donc retrouver leur contexte et leur développement. [Ouvrez  !]



«  Esquisse partielle d’une encyclopédie des concepts de Weizsäcker »
« L’idée d’encyclopédie se démarque de celle de système. Elle apparaît au XVIIIe siècle, avant la Révolution française, et consiste en une façon de présenter les choses de telle sorte qu’on en fasse le tour. L’idée d’encyclopédie implique celle d’un cercle où plusieurs voix, plusieurs personnes se font tour à tour entendre autour d’un même foyer de préoccupations, de concepts.
L’idée de système, par contre, suppose un mode de représentation linéaire et hiérarchique de la matière en question.
Le mode de pensée encyclopédique forme avec ses foyers de concepts comme un paysage où la pensée de Weizsäcker a lieu, s’y engendre et donne lieu, à son tour, à notre pensée. C’est là un mode de présentation congénial à la chose même à présenter : susciter un tel paysage nouveau de la pensée qui vient à nous quand nous-même nous voyageons, le rendre sensible, le faire sentir plutôt que le prouver ou le démontrer. On peut ici évoquer une distinction opérée par E. Straus dans son livre Du Sens des sens, entre l’ « espace du paysage » et l’ « espace géographique » : le premier permet la mise en place d’un rapport direct et primordial au paysage ; le second conduit le penseur à se promouvoir dans un paysage abstrait, préalablement construit. » (III.1)

***

Commerce (« Umgang »)
Weizsäcker utilise la notion de commerce dans le sens social, celui où chacun reçoit et donne dans une pluralité de dons et de prises. Le terme revêt ainsi une signification qui le rend plus ou moins synonyme de celui de comportement à l’égard d’autrui. On y repère donc une accentuation de la dimension dialectique : celle de l’échange dans la réciprocité.

L’Umgang est le concept primordial et englobant de Weizsäcker, tant sur le plan de la pratique que sur celui de la théorie. C’est là son concept de base, au sens grec du terme « basis », la « marche », c’est-à-dire la marche ou la base d’une colonne et le fait de marcher par opposition à « stasis », la « stase » ou l’ « arrêt ». Dans la pensée de Weizsäcker, l’ « Umgang » , à la fois concept de base et concept de la base, est ce qui permet à la théorie de prendre appui et de se mettre en marche dans le paysage conceptuel et encyclopédique qu’elle met en mouvement. (III.4)

« L’homme, dans ce qu’il a d’humain, est déjà défini comme commerce, l’essence de l’humain réel étant d’être un commerce : telle est sa réalité primordiale, essentielle. » (III.4)

« Mais le commerce qualifie aussi un type de rapport entre le vivant et le non-vivant dans la mesure où, en commerçant avec l’inanimé, le vivant anime l’inanimé et cette animation peut se poursuivre jusqu’à l’occulte… » (III.5)

« Ce commerce primordial de l’homme et du monde, commerce non-stable et inobjectivable, est ici ressaisi in statu nascendi. Il consiste en une « explication » polémique entre eux, une « Auseinandersetzung » — mot allemand par lequel Heidegger traduit le mot grec « polémos » (la guerre) chez Héraclite — combiné d’hostilité et d’amour, discordance dans la visée d’une réconciliation possible mais toujours à reconquérir. » (III.6)

« Tout ceci signifie que “l’homme n’est pas dans une espèce de monde-emboîtage spatial, temporel, et peuplé de forces et d’énergies, mais qu’il ne vit qu’à travers l’espace, à travers le temps et à travers les forces, les énergies et les nombres” — (cit. de VvW, Questions fondamentales de l’anthropologie médicale, 1947).
Le monde n’est pas un contenant mais il est traversé par le mouvement de la vie, espace, temps, énergies, tout cela fait toujours à nouveau la matière d’improvisations nouvelles dans une explication avec le milieu ambiant.
Le mot « Umgang » est l’occasion d’une métaphore géométrique ou spatiale selon laquelle le moi a à faire le tour de son « Umwelt » qui, lui aussi fait le tour du moi. La langue a ressaisi dans ce vocable le concept d’une « ordonnance cyclomorphe » qui met les choses en ordre par le fait même de leur circulation, tel que cela se produit dans tout dialogue, dans tout commerce à travers cet échange, ce mouvement perpétuel de va-et-vient. Et Weizsäcker d’ajouter qu’au fond, ce sur quoi l’homme est ainsi en prise, c’est la seule chose sur laquelle il ait vraiment prise.
Cette « chose », la science objective, qui prétend saisir l’homme vivant, est incapapable de la percevoir ou de la pratiquer.
Dans nos mouvements de vivant, nous produisons des manifestations activement et passivement perçues et co-produites de cette réalité qu’ensuite seulement nous pouvons objectiver dans notre idée de « loi physique ». (III.6, III.7)

«  C'est donc dans les Questions fondamentales de l’anthropologie médicale que le concept d' 'Umgang', basal chez Weizsäcker, produit son avancée. L'être de l'homme y est défini comme un commerce primordial avec le monde (Umwelt)  : « le réel et le commerce avec lui se font d'un coup  ». En effet, le réel n'est pas préalable au commerce avec lui, pas plus que le commerce n'est un rapport ou une relation instaurée secondairement et unissant deux entités présupposées, le monde et le sujet qu'y s'y rapporte. L' 'Umgang' est bien plutôt cette réalité primordiale dans laquelle se constitue le réel lui-même, en train de se faire, ainsi que le sujet qui le considère.  » (IV.1)

«  Pour Weizsäcker comme pour Heidegger, la connaissance objectivante n'est jamais qu'un mode dérivé de ce commerce primordial avec le monde ambiant (Umwelt).
Au § 17 de Sein und Zeit, Heidegger se démarque de Descartes pour qui le monde n'était pas l'ambiant de ce commerce avec les choses mais pensé comme étendue, res extensa, objectivée sous le pur regard du sujet connaissant.  » (IV.4)

« Chez Weizsäcker, le vivant en général — tout vivant — est commerce mais le type même du vivant, ce n'est pas le protozoaire, c'est l'homme  : c'est à partir de la vie de ce dernier que doit s'élaborer une biologie, depuis l'en-deçà de cette capacité qu'a l'homme de se poser comme sujet en face des objets de la connaissance.
Straus — à travers — son analyse du sentir — comme Weizsäcker ou Heidegger, tentent de revenir en deçà de ce privilège indû du rapport sujet-objet  : Heidegger récuse le terme de sujet, le renvoie à Descartes et préfère parler de Dasein ; Weizsäcker récuse le face à face du sujet et de l'objet en tant qu'il ne saurait être la forme primordiale du rapport au monde  : le commerce.  » (IV.6)

(En construction. Mise à jour  : 1er avril 2020)


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Viktor von Weizsäcker

Éditions Jérôme Millon, 2011 (édité la première fois en 1956, Göettingen, éd.Vandenhoeck et Ruprecht,)


Sur cette page nous allons cheminer avec Viktor von Weisäcker, et son passeur : Jacques Schotte.
Voir sa présentation, rubrique DANS L'INSTANT

« On comprend mieux l’homme malade quand on se représente la vie entière comme une guerre incessante contre la maladie. Les périodes saines sont des poursuites de cette guerre par d’autres moyens. Celui qui posséderait un organe des sens consacré à la reconnaissance de l’état maladif aussi vif et lumineux que l’œil, comprendrait très facilement que la santé est aveugle au pathologique. On ne peut pas dériver le pathologique de la santé, mais on doit essayer de comprendre l’origine de la santé en partant du pathologique. On s’aperçoit que c’est là une représentation optimiste car elle conduit du mauvais au bon et non l’inverse. Toutefois on doit commencer avec le mauvais, ce dont personne ne veut. » (p. 14)

Il n'était pas prévu de faire débuter cette page avec ces lignes, mais il est impossible de dissocier le travail qui va petit à petit s'inscrire ici de la situation de pandémie que nous vivons en ce printemps 2020.

[Ouverture de la page : 28 mars 2020 ; mise à jour : 8 avril 2020]


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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