Le cinéma à l’état
naissant
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Rencontres régionales sur l’éducation à l’image
DOLE, 27-28 novembre 2007
http://www.centre-image.org/pages/rencontres_regionales.php
ATTENTION : mise en forme en
construction !
J'ai adapté mon intervention pour la lecture
tout en conservant le style parlé. En m'appuyant sur mes notes, j'ai
fait quelques ajouts (a.b.)
1 Parcours personnel et orientation
professionnelle
Le temps du parcours
Le temps de la démarche
2 un chemin de penser se construit
Savoir, conscient, inconscient
La pensée grecque antique
La logique binaire/la logique triadique
Pour discuter, il faut être d'accord
3 Dans ma boîte à outils
La naissance de l'oeuvre
La limite
> Ouvrir de l'intérieur
> Style
> La fonction artistique
> Partage
La logique triadique, le trinitaire, le désir
1 Parcours personnel/orientation
professionnelle
Quand l’équipe de l’IRIMM m’a contactée pour
intervenir dans ces Rencontres, j’ai dit oui immédiatement tout
en attirant leur attention sur le fait que mes orientations ne s’inscrivent
pas forcément dans le courant majoritaire de l’éducation à l’image.
Mais il semble que c’est justement cette position qui pouvait avoir à leurs
yeux un certain intérêt.
Alors, c’est vrai que ma façon d’aborder les choses va peut-être
vous surprendre, que je pars d’un point de vue inhabituel… Donc,
ce n’est pas que j’ai peur… Et pourtant, je sais que je vais
vous demander de faire un saut, y compris par rapport à ce qui a pu être
dit hier. C’est une autre façon. Comme l’a fait justement
remarquer, hier, quelqu'un dans un atelier, ce matin, non plus, ce ne sera pas
de l'ordre de la vérité, mais simplement un point
de vue. Et ce point de vue est effectivement lié à mon histoire
personnelle…
Le temps du parcours
Mes activités en matière de formation sont arrivées à la
suite de mon expérience de cinéma, de mon travail avec la caméra.
Les questions que je me suis personnellement posées influencent mes propositions
pédagogiques. Cela entraïne un lien très fort avec le savoir-faire.
Cela va également orienter mes choix de lecture, les courants de pensée,
les auteurs chez qui je vais chercher des éclaircissements face à mes
intuitions ou à mes questionnements.
Donc, ni universitaire, ni enseignante, mais refusant aussi à me déclarer
artiste… un angle de vue particulier pour éclairer le terme « cinéma » d’une
façon particulière et laisser entendre, sous-entendre, un champ
d’action peut-être élargi concernant ce medium …
Le temps
de la démarche
En tant que faiseuse d’images, c'est le temps de la démarche
qui m'importe.
À la limite, il le serait davantage que le point d’arrivée
(le travail accompli). Est-ce que c’est lié à mon côté perfectionniste ?
À ce penchant de ne jamais vouloir en rester là où je
suis arrivée et vouloir toujours aller plus loin ? …
Donc, les étapes s’enrichissent au fur et à mesure. C’est
une façon de mettre mon travail en question à chaque instant :
je le ressens aussi bien dans mes « films » qu'en formation.
Cela débouche sur une sorte d’analyse permanente.
Ainsi, je répète rarement un même atelier. Parce qu'à chaque
fois nous allons vers des découvertes que j’ai envie d’approfondir
pour « progresser ».
2 Un chemin de penser se construit
Savoir,
conscient, inconscient
Au début, j’ai posé le rapport « cinéma
et connaissance », puis, très vite, en partant de
ce couple, je suis arrivée à
la question de la conscience et inévitablement, à celle
de l’inconscient.
Étant entendu que l’inconscient — FREUD utilise
le terme « Unbewusste » — c’est plutôt l’insu.
Il ne s’agit pas d’un inconscient qui parviendrait à un
moment donné à la conscience. Ce sont deux « registres » totalement
différents et ce ne sont pas des choses concrètes : ce
sont des concepts.
J’ai donc construit mon chemin en allant voir du côté du mouvement
psychanalytique, de Freud, que j'ai associé à
une certaine phénoménologie dite existentielle.
Sans pouvoir entrer dans les détails, faute de temps, cela signifie un
certain dépassement de la psychologie traditionnelle, ne pas en rester
simplement au plan des émotions et des affects.
Quand on accepte la prise en compte du concept d’inconscient, cela a pour
effet primordial, en reprenant les propres termes de Freud, que le « moi
n’est plus maître dans sa propre maison » :
nous ne maîtrisons pas, comme nous pourrions le croire, notre vie psychique.
Parfois, ça nous échappe. Et nous devons faire avec.
Intégrer l’inconscient (en référence à Freud
et à LACAN) dans ses
propres bases de travail, je sais que c’est difficile à accepter.
Cela déclenche beaucoup de résistances. Je le
sais, mais je ne peux pas faire autrement. Je préfère donc le dire
en préambule. Pour qu’il n’y ait pas de malentendus, pour
qu’on sache que je m’appuie sur cette notion.
Si l’on accepte la théorie freudienne de l’inconscient, que ça nous échappe,
cela va nous permettre la remise en question d'un élément fondamental
dans notre culture, qui nous vient de PLATON,
qui nous est
« servie » avec le biberon, :
c’est la distinction entre le corps et l’esprit (ou
l’âme), entre le physique et le psychique. Selon
Platon, le corps est un tombeau pour l’âme :
le corps est une prison…
On en arrive à cet écart : d’un côté, on
a Platon — « Le corps est tombeau pour l’âme » — et à l’opposé on
a, par exemple, MERLEAU-PONTY : « Je
suis mon corps ».
Ça aussi, cela nous est très difficile à accepter :
passer outre la distinction habituelle physique / psychique pour aborder l’être
humain.
La pensée
grecque antique
La seconde étape importante pour tenter de comprendre là où j'en
arrive, ce que je cherche (mais je ne sais ce que je cherche qu’une fois
que je l’ai trouvé !) et tenter de vous en parler, a été un « voyage » — accompagné — chez
les Grecs. Les Grecs, y compris ceux d’avant Platon, d’avant Socrate,
ceux qu’on appelle les Présocratiques. J’ai découvert
que la Grèce antique entretenait un autre rapport au monde que le nôtre
(et pourtant c'est un des berceaux de notre culture occidentale).
Ça aussi, c’est toujours difficile à accepter parce qu’on
a tendance à croire que nos façons de voir et de penser le monde
et l’homme sont naturelles, partagées par toutes les cultures.
Le paradoxe, en l’occurrence, c’est qu’on utilise couramment
beaucoup de termes qui nous viennent de la Grèce antique. Mais on met
de côté le fait qu’ils soient passés par les Romains,
qu’ils soient passés par le Moyen-Âge, la Scolastique, etc… et
qu’ils nous soient arrivés souvent déformés ou presque
dénaturés. Il y a donc tout un travail nécessaire de retour
aux sources, de dépoussiérage, pour essayer de retrouver leurs
sens originaires. Cela concerne, notamment, des termes comme techne (qui
deviendra ars, en latin), comme poiesis,
comme theorein,
comme praxis.
Logique binaire/logique triadique
En puisant à ces deux sources, la psychanalyse et une certaine philosophie
grecque, j’ai découvert une autre logique, un autre système
pour poser, organiser les relations. J’ai découvert la différence
entre la logique binaire, de l’ordre du deux, celle que l’on utilise
habituellement, celle qui a permis le développement de la science et la
logique triadique basée, elle, sur un système de relations à partir
de trois éléments.
S’intéresser à la logique triadique, c’est très
important pour nous car cela va nous conduire vers d’autres théories
de l’image et du signe. En fait, on a oublié ou on ignore
que l’on peut traiter avec ces deux logiques. Tantôt on est dans
le binaire, tantôt on est dans le triadique. Mais il faut en certaines
circonstances savoir quelle logique nous mettons en œuvre.
« Pour discuter, il
faut être d’accord »
Tout cela peut paraître très éloigné du cinéma.
Et pourtant, cela me semble indispensable de repenser nos bases en
vue d’aller, peut-être, vers d’autres formes possibles de cinéma
(mais aussi pour s’ouvrir à certains auteurs, passés ou contemporains,
réputés difficiles).
Ce cheminement a nécessité une certaine mise en marge, un certain
retrait, une certaine solitude, en raison même de la méthode adoptée :
se fier à ses propres convictions, poser des hypothèses sans chercher à affirmer
a priori leurs validités.
Pour rompre cette solitude j’ai créé en 2000, un groupe de
travail, volontairement hétérogène (enseignants, étudiants
de toutes disciplines). Ouvrir le cinéma, le groupe,
a fonctionné pendant quatre ans. Dès la seconde année il
a été accompagné d’un site, embryonnairement construit
autour des comptes-rendus de séances du groupe.
Enfin, il y a trois ans maintenant, j’ai découvert que les auteurs
qui m’importaient étaient travaillés sur le plan pédagogique
par tout un mouvement, sur le terrain de l’école, par des enseignants
qui se nourrissent aux mêmes sources que moi. Je veux parler du mouvement
de pédagogie institutionnelle.
Le mouvement de pédagogie institutionnelle est très lié,
théoriquement et pratiquement, au mouvement de psychothérapie
institutionnelle. Parmi les figures marquantes, on y trouve, comme par hasard,
deux frères :
Fernand OURY, pour
la pédagogie et Jean OURY pour la psychothérapie.
Fernand OURY (1920-1998), était instituteur. Jean OURY, est le directeur-fondateur
de la clinique de La Borde, où Nicolas Philibert à tourné le
film La moindre des choses (1996).
Mais pour commencer à partager, il faut d’abord se mettre d’accord
sur certains fondamentaux…
3 Dans ma boîte à outils
J’ai le sentiment de travailler toujours dans le concret, que ce soit avec
une caméra, que ce soit avec des concepts. À ma façon, j’ai
retrouvé le premier sens de théorie-theorein.
On associe en général la théorie à un mode de penser
abstrait ou rationnel. Mais pour les Grecs, theorein,
c’est tout simplement
observer de très près, être au plus près de son objet.
Ils n’opposent pas la théorie à la pratique. Et je me sens
au plus près des choses, que ce soit dans mes lectures grecques ou une
caméra en main…
Dans la pratique de la caméra, je découvre la techne :
au départ il n’y a pas la technique d’un
côté et ce que nous nommons art, de l’autre. Techne est
le terme qui a
été traduit en latin par art. La techne est
une certaine forme du faire, du produire. Une forme qui relève
du possible,
du devenir et non du déjà là.
La théorie et la techne, ce sont deux gestes d’un même mouvement :
je ne les sépare pas. Je fais un va et vient constant. Je peux les réunir
en m’appropriant le terme de praxis.
Pour expliquer dans quel domaine je travaille je dis souvent que je fais de la
praxis : c’est-à-dire
quand la pratique nourrit la théorie et vice versa. Ce qui compte, ce
serait plutôt la manière d’approcher mon « objet »,
l’image cinématographique en l’occurrence, que l’objet
lui-même en soi. Ce qui revient à ne pas séparer le mode
d’approche et l’objet .
Dans le domaine de la pédagogie, les praticiens du mouvement de pédagogie
institutionnelle accomplissent eux aussi, sans cesse, ce va et vient : ils
travaillent beaucoup sur des monographies, des récits d’expérience
en classe pour élaborer leurs concepts. Le terme de praxis me semble donc
pour l’instant une bonne base pour initier des échanges et un partage.
Pour tenter aujourd’hui ce partage, je vais m’appuyer sur des images
qui auront un peu la fonction de témoin de ce mouvement — va et
vient — entre théorie et pratique, qui seront aussi le support à partir
desquelles il va m’être possible de poser, de mettre en évidence,
trois outils théoriques. J’entends l’expression outils
théoriques au sens de notions ou concepts que j’utilise, que je manipule,
pour travailler que ce soit sur le plan pédagogique ou sur le plan cinématographique.
Le premier outil tournera autour de l’expression «
la
naissance de l’œuvre »,
empruntée à Jean BEAUFRET dans
un des ses textes sur la philsophie grecque.
La « naissance de l’œuvre », c’est un autre
rapport au faire, au
produire. Cela va nous entraîner vers d’autres expressions du temps que
la trilogie habituelle passé/présent/futur.
Le second sera la notion de Limite.
C’est la manière dont Jean Oury
en parle qui a déclenché mon intérêt. Il en parle
toujours en rapport avec la délimitation : pour que ça circule,
dit-il, il faut poser des limites. Et donc, délimiter, c’est structurer
tout en restant ouvert. De la limite à l’ouvert, à Ouvrir
le cinéma… une
piste à suivre…
La troisième notion sera la Logique
triadique, à laquelle j’ai
déjà fait allusion au début de mon intervention, qui va
nous conduire à la question du désir.
On terminera par le visionnement du film La ville noire, réalisation d’une
classe de CM1 du Havre, dans le cadre d’un atelier que j’ai conduit
en 1995, à l’occasion de la célébration du centenaire
du cinéma.
La naissance de l’œuvre
On va regarder un premier extrait (5 mn) de soir matin, un film que j’ai fait en 2006.
Nous voilà déjà là entrés dans le vif
du sujet :
Je dis : Je fais des films
— même si c’est de la vidéo — au
sens où j’ai l’habitude dire que « je fais
du cinéma ».
Pour moi, le moment privilégié du cinéma, c’est
la rencontre entre la lumière et un support quel qu’il soit — chimique,
magnétique, numérique … C’est ce moment que
je privilégie (pour d’autres, ce sera la projection).
Il y a là une première ouverture : tout geste avec
la caméra peut engendrer quelque chose qui a à voir avec
la création cinématographique.
C’est de l’ordre du possible. Cela n’arrive pas
forcément.
Cela demeure en tout cas pour moi un des intérêts majeurs d’avoir
une caméra en main :
quelque chose peut arriver…
Soir matin est un film tourné / monté.
Il n’y a pas montage après le tournage. Ce qu’on voit, c’est exactement ce que
j’ai filmé, dans l’ordre, dans la chronologie du tournage.
Ma petite caméra vidéo est munie d’un écran de contrôle
latéral. Je contrôle toujours le son quand je filme (avec des oreillettes).
J’écoute/je regarde ; je déclenche/j’arrête.
Ma décision de faire un plan n’est donc pas seulement lié au visuel, mais aussi au sonore.
[clic sur l'image pour visionner]
Un soir, à la fin de son séminaire de Sainte Anne, Jean Oury sort
de son cartable un livre et commence à lire…
Il s’agit du dernier chapitre d’un livre de Jean BEAUFRET
,
Dialogue avec Heidegger (IV). Le chapitre s’intitule Energeia
et actus. Il est très
tard. Je ne comprends rien mais je m’accroche à des mots. Je suis
absolument certaine que cela me concerne. Que mon chemin passe par ce texte.
Dans ce chapitre, Jean Beaufret montre l’appauvrissement et même
le contresens qu’ont subi certains termes grecs une fois traduit en latin.
Par exemple, le fameux poïen
qui a donné poiesis, poésie,
poétique, poème, etc… est traduit par faire, produire, créer.
Cela ne nous pose pas de problème de passer de poïen à faire.
Or, dit, Jean Beaufret on est passé du monde grec au monde
romain. Poien,
dans la mentalité grecque, c’est laisser apparaître, faire
venir, accueillir. Celui qui possède la techne, le poioun, terme qu’on
trouve notamment chez Aristote, en latin on le traduit par agent. Le monde romain
c’est le monde de la force, qui pousse, qui agit, qui transforme
en poussant.
La pax romana n’était pas très pacifique…
Chez les Grecs, poïen c’est donc : laisser venir, apparaître,
accueillir. C’est un tout autre rapport aux choses : c’est ça
le moment de la naissance de l’œuvre.
Par exemple, le marbre se fait dur pour accueillir la pluie ; il se fait
blanc pour accueillir la lumière.
L’energeia grecque
n’est pas l’énergie
qui pousse le piston…
Quand on a une caméra en main et qu’on travaille
en se disant :
J’accueille… c’est tout autre chose… c’est
plus du tout la même chose que lorsqu’on se dit : J’ai
telle idée (en tête) de telle image, je veux retrouver ça… non,
c’est pas ça, c’est pas ce que je veux… Se dire :
J’accueille,
n’est pas du tout une facilité (et l’on peut être surpris
ou insatisfait de ce qu’on accueille)
Je n’en parlerai pas aujourd’hui, mais un telle approche modifie
notre interprétation de la contemplation. Contempler
n’a rien à voir
avec la passivité, au sens ou nous l'entendons habituellement (encore un terme sur lequel il faudrait revenir).
C’est un autre rapport aux choses.
Au départ, j’allais chez un ami, qui venait d’emménager
dans un petit village de l’Aude.
J’avais l’intention de rapporter
des images de sa nouvelle maison pour les montrer aux amis parisiens qui n’avaient
pas encore fait le voyage.
Je suis arrivée en fin d’après-mdi. Il est venu me chercher
en gare de Narbonne. Quand on est monté dans son fourgon, j’ai allumé la
caméra… et puis j’ai vu : le soleil,
la lumière, les contrastes… j’ai ouvert le diaph au maximum : une revanche
pour moi en souvenir du temps où je travaillais avec la Paluche
Aaton dont le tube noir et blanc si sensible pouvait se « tacher »
simplement en filmant des reflets.
Donc, j’ai ouvert le diaph, j’ai réglé sur la fonction
automatique… comme ça tremblait, ça m’intéressait…ce
que je voyais sur le petit écran… ça m’intéressait… et
je me suis dit : je vais travailler avec ça.
On peut deviner qu’une telle prise de position va forcément faire
naître des images différentes de celles nées de l’écriture
d’un scénario (même dans le genre documentaire).
Chaque plan filmé… réduit ma marge de manœuvre. Au
plan suivant, je suis dépendante du précédent et de sa coupe
(visuelle et sonore). Je travaille avec ce que ma mémoire conserve des
images enregistrées.
Le film — mais quand je filme je ne sais pas si ça deviendra un
film — se construit peu à peu. Avec des récurrences :
le lendemain matin, j’ai trouvé une situation qui m’a fait
risquer à nouveau une expérience de tremblé.
Alors, à partir du moment où je sens que ça se tient, je
peux oser montrer ce que j’ai fait et dire : c’est un film,
même si les conditions de fabrication échappent aux normes…
C’était une période où j’avais commencé à lire
des textes d’un philosophe phénoménologue, Henri MALDINEY,
.… Il a beaucoup écrit
sur la question du temps…
Pour nous, le temps c’est : passé/présent/futur. Mais
si on retourne aux Grecs, par exemple, on voit qu’il y a des mythes, des
textes, des … personnages, ce ne sont pas forcément des dieux,
je crois, des personnages qui donnent une autre appréhension… temporelle.
Aion
Aion, c’est le jaillissement… le
jaillissement continuel… Jean
Oury y fait référence dans son séminaire à propos
d’un pensionnaire de La Borde surnommé le « tourniquet » :
il tournait toujours sur lui-même car il voulait voir tout en même
temps. Jean Oury dit : voilà, lui, il est toujours dans l’Aion… ça
ne s’arrête jamais… il n’a pas accès au Kairos
Kairos
Kairos, c’est une autre façon de représenter
le temps chez les Grecs. Il apparaît le plus souvent
sous la forme d’un jeune homme
ailé qui s’approche d’une balance et d’un léger
appui du doigt en fait pencher l’un des plateaux. Kairos, c’est
le moment opportun, le temps de la décision… ça
n’est
même pas un temps de suspension, parce que c’est juste comme ça,
quelque chose qui va faire que le jaillissement va pouvoir prendre une autre
direction…
Je baignais dans ces lectures quand j’ai fait soir
matin. Je me suis mise à regarder
mes images autrement, en pensant au jaillissement de l’Aion, au
moment opportun de Kairos… (Lire mon carnet
de bord)
On peut envisager de considérer le temps avec Aion et Kairos : le
temps, c’est ça, c’est en perpétuel recommencement
mais nous ne sommes pas le « tourniquet » de La Borde
et donc… constamment, on se pose par rapport à ce jaillissement… comme
l’image, dans ces plans qui se succèdent… en plus, dans ce
tremblé qui provoque une illusion de coupes, des effets de coupes
là où il
n’y en a pas — le tableau de bord du fourgon qui « envahit » l’image,
et comme c’est tellement tremblé on a l’impression quelque
fois d’une coupe là où il n’y en a pas… Parfois
le tableau de bord « monte » très haut dans l’image… Cela
m’a fait penser à certains propos de TARKOVSKI,
sur le temps, à PELECHIAN,
sur ce qu’il nomme le « montage à distance » … mon
expérience personnelle me faisait revenir vers certains cinéastes — qui
travaillent forcément le temps et la durée, ça c’est
sûr !
En travaillant de cette manière, j’aborde plus facilement certaines
notions grecques, comme la techne, l’objet de la techne relevant du possible à l’opposé de
l’episteme où l’objet est déjà là…
Tant que je n’ai pas fait mon image, je ne sais pas ce qu’elle va être.
D’ailleurs, elle peut advenir comme elle peut ne pas advenir. C’est
après coup que je vais la découvrir en tant qu’objet. Dans
le monde de l’episteme, l’objet, il est déjà là :
voilà, ma paire de lunettes, elle est là : je peux commencer à l’observer.
C’est une autre forme de connaissance. Un autre temps, aussi.
Le monde de l’art, tel que nous l’entendons, fait partie
du monde de la techne, qui ne peut être réduit à la technique
dans son sens moderne. Quand on tourne suivant la « technique » du
tourné/monté on est au plus près de ça. Le temps
de réflexion est réduit au minimum. C’est un jeu entre Aion et Kairos.
Toutes ces notions revisitées, l’introduction de la question du
possible, sont pour moi très stimulantes dans mon travail avec l’image
y compris pour imaginer des dispositifs pédagoqiques. Évidemment,
il n’est pas question de dire aux enfants : Bon, je vais vous faire
un cours sur le possible … je parle surtout des enfants parce qu’ils
sont plus ouverts que les adultes. Ils n’ont pas le vocabulaire approprié mais
ils vont toujours se débrouiller pour trouver les mots capables d’exprimer
leur pensée.
Je pense qu’on vit tous des moments comme ça… ceux qui travaillent
avec les enfants, des moments où l’on sent quelque chose qui jaillit… de
la pensée qui est très très forte…
La rencontre
En nous intéressant au possible, cela nous ouvre à la question
de la rencontre, une notion aussi très importante.
La rencontre comme événement, où rien n’est plus comme
avant… j’en ai déjà un peu parlé.
Pour moi, la rencontre est au cœur du cinéma : cette rencontre
entre les photons et un support, avant même toute définition.
Souvent (j’ai entendu Jean-Claude Carrière le dire), on oppose l’art
dramatique et l’art de l’image, le cinéma étant du
côté de l’art dramatique. Mais il y a aussi des cinéastes
comme Peter Greenaway qui revendiquent d’être du côté d’un
art de l’image et quelqu’un comme Godard met les deux en crise, art
de l’image, art dramatique.
Pour en revenir au cinéma à l’état naissant, j’ai
le sentiment, chaque fois que je fais une image, que se répète
la naissance du cinéma. C’est une façon de se libérer
du point de vue chronologique sur le temps. Chronos,
c’est déjà le
temps qui a un sens, une direction… Et c’est encore dans autre
modalité qui
vont pouvoir se définir les trois périodes : passé/présent/futur…
À chaque plan, le cinéma recommence. Ce n’est pas une approche
historique (1895, l’évolution des techniques, l’évolution
des genres, etc.). Une chose qui m’a frapprée dans les Histoires
du cinéma de Godard, c’est sa façon de marteler, presque,
comme une injonction : « Histoires du cinéma… histoires
du cinéma… qu’il y aurait ou qu’il y a eu ? … qu’il
y a eu ! »
Pour ma part je me sentirai plutôt du côté du : « qu’il
y aura été », pour se donner la possibilité de
toujours accueillir les nouvelles possibilités du cinéma.
Voilà ce que je peux dire autour de la « naissance de l’œuvre »… Ça
va ? C’est pas trop…abstrait ?… un peu ?… Je
vais trop vite ? … Non ? … Ça va s’accumuler… il
faut déjà accepter…l’histoire du jaillissement :
avant je ne peux pas savoir, on est dans du possible… tout plan de cinéma
c’est ça ! Dans ce que je vous ai montré c’est
exacerbé, mais…même chez Hitchkock c’est ça…
salle : pas chez Lang…
ab :
Si ! il peut tout calculer mais tant que la caméra
n’a
pas… tant qu’il n’y a pas eu la pellicule qui défile,
il ne peut pas savoir… il peut…le carton pâte peut se … la
petite fille, au lieu de sauter de trois centimètres…
salle : Il recommence !
ab : Oui, mais chaque plan est la naissance du cinéma…
salle : Oui mais est-ce que chez Fritz Lang on n’a pas cette espèce
de négation du jaillissement au sens où… ou alors le jaillissement,
tel qu’il le souhaite lui…
ab : Il peut le nier, mais il ne peut pas le nier !… c’est
forcément ça… Avant qu’il ne déclenche la caméra,
son plan n’existe pas… dans son perfectionnisme… chacun a
ses névroses… c’est à partir des névroses différentes
qu’on a des styles différents ! Fort heureusement ! … Il
veut le nier, mais il ne peut pas le nier : il a fait ce plan-là,
il n’en a pas fait un autre… avant de le faire, il ne pouvait pas
savoir vraiment. Après, il se dit : oui, c’est exactement ce
que je voulais, mais en même temps,… voilà… on est
sur un autre registre…
salle : Est-ce que ça ne signifie pas tout simplement l’irruption
de l’aléatoire dans toute écriture ?
ab : C’est une autre façon de le dire !
salle : … c’est la même chose en danse, en théâtre… on
a toujours cette irruption de l’aléatoire…
ab : Absolument !… C’est
vrai que je préfère… avant de parler d’aléatoire, qui est déjà un terme qu’il
faudrait préciser, c’est peut-être mieux déjà de
parler de possible… du possible… de la rencontre…
salle : … on ne maitrise pas tout…
ab : Entre le possible et la rencontre,
il y a le hasard… il y a
deux formes de hasard : il y a le hasard de la rencontre,
de l’ordre
de la surprise. On ne s’y attendait pas. Et puis, il y a le hasard
du coup de dés, c’est mathématique, c’est
prévisible.
C’est encore dans le séminaire de Jean Oury que j’ai été initiée à ces
notions. Jacques LACAN a
parlé de la rencontre et du hasard en établissant
cette différence entre les deux sortes de hasard à partir des termes
grecs, Tuche et Automaton.
Je préfère conserver la référence au possible.
Avec l’aléatoire, on est davantage sur le versant mathématique
du hasard-coup-de-dés.
Rester du côté du possible, de la rencontre… on est dans
les « choses humaines »… la rencontre, ça
peut être avec une personne, ça peut être avec un objet, ça
peut être avec un film, ça peut être avec un auteur. Mais ça
touche l’être humain.
La rencontre, quand on sent que … C’est comme mon expérience
avec la lecture de Jean Oury d’Energeia e actus. Je ne comprenais rien,
mais j’ai eu cette intuition immédiate que j’étais
concernée par ce texte. Et quand on sent, même sans savoir pourquoi,
que ça nous concerne, on s’obstine, on oublie la fatigue, le travail… Et
là … on en parlera plus tard… il y a la question du désir qui
entre en jeu…
salle : Dans l’extrait que vous nous avez montré, au départ,
c’est de l’ordre du privé, une expérimentation… Comment
avez-vous décidé… À quel moment décidez-vous
de le montrer en public… vous nous avez dit que ça vous a plu… et
puis comment tout ça… le résultat final… est-ce que
vous faites une différence entre…
ab : Je fais plein de choses mais je
ne montre pas tout…
salle : Voilà ! Qu’est-ce qui vous fait… ?
ab : C’est ce que je disais un
peu tout à l’heure. Quand je sens que ça se tient… Je
sais qu’il y a des gens qui n’aiment
pas le mot « œuvre », mais je le prends ici comme … « mise
en œuvre »… ça vient de travail… opera… quand
d’un seul coup ça se tient, ça fait œuvre… il
y a quelque chose… il y a comme une unité, forcément différente à chaque
fois, mais … ça se tient et je peux oser me
permettre de le montrer.
Il y a des choses que je ne montre pas … ou que je ne finis pas parce
que je sens que… ce que j’ai accueilli, je n’arrive pas à en
faire quelque chose. Ça ne tient pas…
salle : … Parce que vous
n’avez pas trouvé le discours à plaquer
dessus ?
C’est ce que vous voulez dire ? J’ai l’impression
que vous avez pris quelque chose comme ça… du tourné/monté…
Vous avez obtenu un résultat et après,
vous avez cherché un discours à plaquer
dessus…
ab : Pas du tout ! C’est
ce que j’ai dit tout à l’heure.
Je ne peux pas dire si la théorie vient avant… c’est concommittant…
pendant que je suis prise par certaines lectures, je me retrouve dans un fourgon
de plein face avec le soleil et je me mets à faire ces images-là… Ensuite,
quand je les visionne, elles me font penser à ce que je suis en train
de lire sur Aion, Kairos et Chronos. Je ne suis pas du tout dans un discours
que j’applique à une image… mais j’entretiens avec
la théorie et la pratique des relations différentes.
Je dis souvent que je me sens constamment dans le « concret »…
Je ne cherche surtout pas à plaquer un discours,
mais, à ma grande surprise,
je découvre que cette image-là… elle me dit des choses et
elle me permet…
C’est à partir de ce film-là
que j’ai pu retourner vers Pelechian et Tarkovski, curieusement… donc, …
je fais des recoupements… des associations… mais certainement qui
me travaillaient déjà inconsciemment… qui me travaillaient
déjà, puisque j’avais commencé à chercher,
j’avais entendu Oury parler de l’Aion, Chronos, Kairos,
mais je n’avais
rien compris… Alors je cherchais ce bouquin de Maldiney… et je
pense que ce n’est pas par hasard que je fais ces images-là, à ce
moment-là, mais ça n’est pas conscient tout ça…
c’est quelque chose qui… donc je ne suis surtout pas dans un discours… le
terme de « discours » je ne l’utilise pas à propos
de cette situation… et je n’en plaque surtout pas ! Mais… ça
vient « comme ça »…
salle : Est-ce qu’on ne peut pas dire… non pas que « ce
n’est pas conscient »,
mais que ce n’est pas « délibéré » ?
ab : C’est tout à fait
autre chose. Je ne sais pas si nous allons avoir le temps de parler de l’inconscient… « délibéré »…
il faudrait questionner ce terme… ça vient de délibération… on
est dans le monde juridique déjà…
J’essaie de faire
très attention aux termes que j’utilise… quand on se trouve
en situation de partage, de discussion, dans un groupe, comme ici…
chacun arrive avec sa propre culture…
Pour l’instant,
je ne me permets pas d’utiliser le mot « délibéré »…
Je n’aurais jamais osé un travail sous cette forme quand j’ai
commencé à faire des images en 80.…
Curieusement, il me faut plus d’expérience pour réaliser soir
matin que pour mon premier film bien cadré, bien découpé …
où c’était plus facile dans un sens… je n’aurais pas pu faire ça… me
permettre cette liberté, au moment du tournage, ce n’est que maintenant
que je peux le faire, et surtout, oser le montrer …
parce que j’ai la conviction, que ça va dans un certain sens, que ça tient …
mais c’est pas si simple …
Alors, effectivement, on peut dire : Oh !
Elle a déclenché…
Ça tremblait, elle n’a même pas cherché à éviter
le tremblement, etc…
mais le fait d’oser, c’est le geste, justement, le fait de savoir
non pas « quand » déclencher,
mais « décider »
sur le champ !… C’est parfois très angoissant…
Quand on est sous les arbres — déjà ça me rappelle
un plan d’un film précédent, ça me rappelle
un tableau de Klimt… et puis mon ami me parle et je n’en ai
pas du tout envie ! … Est-ce que mon doigt va appuyer au bon
moment — le moment opportun — quand…
Je ne veux pas « sortir » des
arbres… je ne veux pas « entrer » dans la lumière… il
faut que je reste dans l’ombre et qu’on voie le trou de lumière… et
j’ai l’impression que je vais peut être être paralysée … que
dans l’émotion, je ne vais pas arriver à appuyer… Il
y a tout ça qui entre en jeu… C’est vraiment le moment
du tournage qui est un moment de jubilation très particulier, tout à fait
différent si on est passé par une phase scénario… parce
que ce qu’on cherche c’est quand même aussi… ce
n’est
pas exactement se faire plaisir, mais c’est tout de même attendre
des moments d’exaltation, de jubilation … et dans l’attente
du laisser apparaître, du faire venir, il y en a !
La limite
C’est une « rencontre » très récente…
Ce que je vais vous montrer est un extrait (6 minutes) d’un
entretien avec un jeune metteur en scène lyonnais,
Pierre Kuentz, qui est aussi dramaturge, musicien, et qui travaille
régulièrement avec les enfants en spectacle
vivant, dans des écoles, lycées de la région…
En 2002,
il a monté avec deux classes du collège de St-Priest, un opéra écrit
spécialement pour les enfants, Pantin Pantine.
J’ai assisté à une représentation, j’en ai fait
une captation, pour que Pierre puisse travailler dessus. Je voulais aussi qu’il
me parle de cette expérience et je voulais qu’il m’en parle à chaud.
Ce que vous allez voir a été enregistré le surlendemain
de la dernière représentation … C’est le matin. Il
est assez tôt… peut-être huit heures… J’ai fait
un choix de cadre et j’ai mis en place Pierre dans ce cadre. Je lui ai
dit : « Tu as le temps de la bande pour toi (63 mn), tu dis ce
que tu as envie… je t’écoute, je te regarde, plus tard, des
personnes peut-être visionneront la cassette. »
[clic sur l'image pour visionner]
Donc, vous vous rappelez… Jean Oury distingue la limite de la borne et
de la frontière…
il dit que la limite c’est quelque chose
d’inatteignable, ça délimite et en même temps ça
permet d’être toujours dans l’ouverture… il n’y
a pas d’étanchéité… la limite est toujours
repoussée, mouvante… elle est forcément de l’ordre
de la multiplication…
Ouvrir de l’intérieur
En écoutant Jean Oury, je pense à ma façon
de travailler, à cette
recherche continuelle d’auteurs, de pensées, qui remettent en question
la « stabilité » de mon « cadre » de
travail, qui m’ouvrent… à des limites sans cesse repoussées,
non à la recherche d’une vaine définition du cinéma
(« Qu’est-ce que le cinéma ?) mais au contraire
pour aller vers d’autres interrogations, plus vagues, moins rassurantes,
mais potentiellement plus riches (« Qu’en est-il du cinéma » ? « Que
peut le cinéma ? »)
C’est un mouvement différent vers le cinéma qui ne s’appuie
pas sur un classement a priori par genre (doc, fiction, etc…) ou par périodes,
qui pointe plutôt, j’ai envie de dire, « de l’intérieur » même
du medium, mais ce n'est qu'une métaphore …
Style
C’est un plan très cadré : Je voulais voir Pierre en entier.
J’ai décidé de faire un plan large…
mais l’objectif de ma petite caméra n’est pas quand même formidable… en
plus, il y avait le mur de la pièce qui m’empêchait de reculer
davantage, d’où la contre-plongée…
Je n’arrive plus à me souvenir, mais je crois que c’est après
coup que je m’en suis aperçue :
J’ai mis Pierre dans la position de ce dont il me parle :
il est sur une scène —
il y a son corps — et il me parle d’enfants qu’il a mis en scène… mon
plan répond à la situation de ce dont il me parle… c’est étrange…
C’est un entretien… je trouve que la bande « tient » dans
la durée,
qu'il n’y
a pas besoin de montage, pas besoin de coupes. Les silences parlent,
le corps parle aussi …
Il y a une sorte d’unité ; ça tient…
D’habitude, un entretien relève du domaine du journalisme, de l’information
ou de la communication. Et là… c’est certain, on n’est
pas dans le monde de la communication… on sent bien que dans sa parole… bon,
je ne sais pas si en 6 minutes on peut y être sensible, mais… le
fait même qu’il soit debout, que je n’intervienne pas… on
sent bien qu’on est ailleurs… Je m’attache à des choix
formels qui n’appartiennent pas à la codification de l’audiovisuel…
Un travail un peu en porte à faux… entre deux genres, et même
entre deux mondes (cinéma/audiovisuel)… Pour le coup, des mondes
souvent séparés par des frontières bien fixes, rigides…
Ces frontières ne se retrouvent-elles pas dans l’éducation à l’image ?
Le genre « entretien » est-il travaillé dans un
atelier de cinéma ?
Dans un atelier de communication sur la technique de l’entretien, acceptera-t-on
le choix d’un élève pour un cadrage en plan large, sans montage ?
… À la télévision, on ne voit jamais un cadrage comme ça…
pour écouter quelqu’un (et si longtemps). À la limite (?!)
on utiliserait des extraits comme bande son recouvertes d’images arbitraires
ou redondantes.
Dans cet entretien avec Pierre Kuentz, on a affaire à un entretien un
peu particulier (l’interviewer ne pose pas de question, les silences, les
redites sont conservés, l’interviewé cherche ses mots). On
sent que le but n’est pas seulement d’obtenir de l’information,
ou tout au moins, qu'elle n'est pas seulement attendue dans ce qui sera dit par
Pierre, dans l'énoncé. Que ce qui relève
de la forme ne se confond pas avec un seul savoir faire.
Donc, c’est un entretien, mais le dispositif mis en place déborde
le genre entretien… Est-ce qu’il déborde le savoir
faire ?
Quels liens pourrait-il entretenir avec l’acte de création ?
La fonction artistique
Est-ce que dans une situation pédagogique, surtout dans un atelier de
pratique artistique (réalisation, montage) il est possible de « déborder » le
niveau du savoir faire ? Peut-on s’en apercevoir quand cela, éventuellement,
arrive ?
Que le cinéma soit un art, on est tous d’accord, mais que met-on
exactement sous ce terme art ? Qu’en est-il de l’artistique ?
Pour avancer sur ce terrain un peu miné, je préfère pour
l’instant parler de fonction artitistique : ce n’est pas quelque
chose qui est « collé » à l’artiste,
mais que l’on peut repérer dans une image, un film qui n’est
pas forcément une « œuvre d’art » ou
dans un geste qui n’est pas forcément le geste d’un artiste
mais qui peut devenir comme une ouverture vers l’art pour celui ou celle
qui le vit.
Il me semble que dans cet entretien filmé de Pierre Kuentz, il y a quelque
chose qui a à voir avec la fonction artistique, même si ça
n’est pas au départ un travail « artistique » …
Partage
J’en arrive à l’expérience même de Pierre Kuentz
qu’il analyse presque à chaud devant nous…
Quand on l’entend parler du travail sur le corps, sur le rythme, on rêve
d’un partage, d’un échange entre des intervenants en cinéma
et des intervenants en spectacle vivant sur la question de l’acteur et
du corps, par exemple…
salle : …Ça se fait déjà… C’est-à-dire
que dans les ateliers artistiques de cinéma de notre académie,
il y en a un certain nombre où les intervenants sont des comédiens… qui
sont là pour apporter le point de vue du théâtre dans le
travail de cinéma et réciproquement…
ab : …Ce
que je voulais dire, ce serait peut-être autre chose :
il ne s’agirait pas seulement d’apporter un point de vue, mais faire
que les enfants qui ont travaillé par exemple avec Pierre rencontrent
les enfants d’un atelier de cinéma, … que les deux intervenants
se rencontrent aussi et qu’il y ait, à un moment donné, comme
un atelier commun, pour partager l’expérience des élèves
portés à éprouver et à réfléchir sur
cette difficile rencontre avec le rythme d’un autre, etc… qu’ils
en parlent avec des enfants qui réalisent une fiction, par exemple, où la
question de la direction d’acteur va se poser … c’est à ce
niveau-là que je pensais… pas seulement l’intervention d’un
comédien, mais … toujours pour en pensant à la praxis…
Il y a quelques années, pendant un atelier avec des élèves
d’une classe dite de consolidation, il m’est arrivé de
souhaiter, ou de rêver à une situation de partage entre différentes
« disciplines » (!?) artistiques.
Je leur avais notamment proposé quelque chose autour d’une photo
de Richard Avedon, Dovima with elephants (un mannequin en robe du soir
au milieu d’éléphants de cirque). J’avais distribué des
photocopies de la carte postale, avant la récréation pour que ça
les travaille, mine de rien. Je leur avais dit : Quand vous reviendrez… Imaginons
que c’est une image qui représente un instant d’une histoire.
Peut-être que pendant la récré vous pouvez imaginer ce qu’il
y a eu avant et ce qu’il y aura après cette image… Quelques élèves
on eu envie de raconter.
Il y avait – encore – une estrade dans la classe, mais sans le bureau
du maître et ils devaient être habitués à y monter
en certaines occasions. Je me souviens d’un garçon qui est monté avec
un énorme sourire. Pendant qu’il racontait, son corps se tordait. Ça
parlait d’une femme dans une grotte avec des chaînes… Les
autres élèves écoutaient et ne se moquaient pas de lui (comme
cela peut arriver quelquefois).
Brutalement, je me suis mise à penser : et si en imposant sans préambule à cette
classe un atelier « cinéma », on faisait l’économie
de l’étape indispensable d’un travail avec le corps… Ils
ont une telle difficulté avec leur corps qu’il faudrait peut-être
d’abord profiter de l’introduction d’une discipline artistique
dans leur cursus pour trouver le moyen de les réconcilier, ne serait-ce
qu’un tout petit peu, avec ce corps qui les encombre, qui les empêche
d’aller tranquillement vers le savoir ? Comment ajouter d’autres
savoirs, alors qu’ils sont dans l’incapacité tout simplement
de recevoir ?
Les remarques de Pierre ont ravivé ce souvenir.
La logique triadique, le trinitaire
(Cette partie n’a pas été développée, faute
de temps, lors des Rencontres de Dole, mais figurera ici)
Pour parler de la logique triadique et de la relation trinitaire, je fais appel à l’un
de mes premiers films L’instant fatal (1985) tourné avec un matériel
vidéo particulier qui exacerbe le trinitaire dans le medium cinematographique..
(à suivre)
[clic sur l'image pour visionner]
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