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le livre impossible
« Le chemin se fait en marchant »,
est un leitmotiv de Jean Oury, emprunté à Antonio
Machado.
Marcher, penser, former, filmer,
écrire… Les textes qui seront réunis ici participent
au défrichage d'un chemin, parmi tant d'autres.
La structure du site favorise une lecture transversale.
Mettre en rapport différents types d'actions, suivre leur cheminement (en passant du terreau d'éclosion, à l'élaboration, et à la réalisation).
Ainsi, dans la rubrique à lire,
on peut trouver des textes qui donnent à penser et à travailler.
Dans les carnets de bord,
on aura accès au travail de routine, ce qu'on engrange en vue du
travail abouti : des images, des projets pédagogiques, des écritures.
2011
La Paluche (Aaton) :
entre Technique et Éthique (Politque)
Le festival Cinéma du réel, édition 2011, a programmé une série de rencontres autour du thème : "Les outils du cinéma documentaire : la caméra”.
Le 1er avril, c'est Jean-Pierre Beauviala (Aaton), inventeur-industriel, questionné par Alain Bergala, qui s'est vu proposé de revenir sur sa manière de penser l'outil caméra.
Il a donc été question de cette fameuse Paluche, avec laquelle j'ai notamment filmé Intimités et L'instant fatal.
Pour parler de cette caméra vidéo tout à fait unique, deux extraits ont été présentés : le premier, issu de Shoah de Claude Lanzmann ; le second, de L'instant fatal.
J'ai filmé le dialogue entre Beauviala et Bergala.
Cela m'a incité à ouvrir une nouvelle page pour démarrer une sorte de réflexion sur la pratique de cette caméra et sur ce qu'elle permet de se manifester quant à ce qu'il en est du pouvoir du cinéma (que le support soit cinéma ou vidéo) et du désir de celui ou celle qui filme. [Ouvrez !]
2010
2007
Deux interventions d'Annick Bouleau :
2005
Cette année 2004-2005,
il avait été proposé (cf. "à lire") de questionner le mouvement et le sens. Deux textes ont été mis en chantier :
La publication de ce texte est une expérimentation. il se présente inachevé, dans un format de page nouveau, à trois colonnes, entre une série d'images et un récit fictionnel. Quelle pensée, quelle écriture vont naître de ces rapprochements ?
Une variation nouvelle pour mettre en œuvre la pensée du montage. [1.1.2005]
ATTENTION : cette page (dite "à cadres") ne s'ouvre pas dans tous les navigateurs (principalement Internet explorer). Pour être sûr d'avoir accès aux trois cadres, il est préférable d'adopter Firefox, téléchargeable à l'adresse suivante :
http://www.mozilla-europe.org/fr/products/firefox/
Une étude de l'atelier « Au commencement était l'image » à partir de concepts mis en évidence par la Pédagogie institutionnelle.
Ce rapprochement conduit à une praxis du cinéma. Pour l'ensemble du dossier concernant l'atelier, rendez vous à la rubrique TERRAINS.
2000
1994
Annick Bouleau, « Ouvrir le cinéma » , dans O de conduite, revue de l'UFFEJ, 4e trimestre 2000, p.11-15.
D'abord, il y a eu cet échange,
inattendu, avec Gérard Lefèvre, lors de la
journée de réflexion du 16 juin : pour la
première fois je suis amenée à formuler
à brûle-pourpoint quelques bribes des pensées
contradictoires qui m'agitent au sujet de l'entrée
du cinéma dans notre système éducatif
A l'issue de l'expérience des ateliers de réalisation
Lumière-Méliès mis en place en milieu
scolaire pour le centenaire du cinéma par l'association
Le Cinéma, cent ans de jeunesse, j'avais,
dans un document remis à l'association, commencé
à relever les éléments qui pour moi
s'étaient avérés implicites dans ces
ateliers et qui n'avaient pourtant pas forcément
été objets de discussion lors des réunions
préparatoires. Il y avait notamment ceci :
On admet que l'expérience est une forme de connaissance.
La transmission d'un savoir-faire ne relève pas forcément
de l'expérience. Avec en arrière-plan, l'idée
que l'éducation ne serait pas seulement la transmission
de connaissances comme on transmet un patrimoine, mais le
désir d'en apprendre toujours plus. (Cf. D. Lecourt,
"Instruire ou éduquer?" In A quoi sert
la philosophie ?) .
C'est à partir de ce fil ténu que j'ai continué
à me questionner, à être encore plus
attentive aux façons de dire et de faire des élèves
et des enseignants qui m'accueillaient dans leurs classes
(interventions dans le cadre des activités proposées
par les Cinémas Indépendants Parisiens).
En cette rentrée, le fil passe par la création
d'un atelier de formation/réflexion, soutenu par
la Drac-Ile-de-France, que j'ai intitulé Ouvrir
le cinéma.
L'échange avec Gérard Lefèvre m'a permis
de clarifier et de concrétiser certaines orientations
sur la question du cinéma dans son rapport à
la connaissance. Les lignes qui suivent sont donc regroupées
en deux parties. Dans la première, c'est la transcription,
relue et corrigée, comme on dit, de nos paroles du
16 juin ; dans la seconde, une mise en forme et l'ouverture
de quelques pistes
I
Gérard Lefèvre : Une des autres questions
Cétait sur le rapport intervenants/institutions
et notamment intervenants dans linstitution lorsque
ça nest pas la nôtre. Et alors là,
je suis curieux de savoir où tu en es, Annick Bouleau,
de ta réflexion à ce sujet. Parce quil
y a quelques années je me souviens tavoir invitée
dans un stage denseignants sur Paris, où tu
as complètement pris ta place dintervenante
cinéma, et où tu as totalement passionné
les gens adultes qui étaient là pour tentendre,
et qui étaient heureux de sortir du cadre un peu
étroit et un peu lié à la rentabilité,
souvent, des stages enseignants auxquels ils avaient affaire,
en tant que formation des maîtres. Et puis plus tard,
je tai appelée, trois ans plus tard, un peu
pour renouveler ce genre dapproche, et tu nen
étais plus là. On a décidé de
se quitter momentanément, bons amis, mais on nétait
plus sur la même longueur donde à ce
moment-là, et tu étais extrêmement virulente
sur ta place dintervenante. Alors jai envie
de te demander où tu en es, parce que ça va
contribuer à notre débat
Annick Bouleau : Tu as pensé que je nen
étais plus là : mais j'y étais
toujours, au sens où je tirais le même fil,
sauf que javais avancé sur ce fil. Ce que jai
fait il y a quelques années, je ne le renie pas du
tout, c'était les prémices pour avancer, justement
En fait jétais venue ici, aujourd'hui
puisque jai pris un peu de recul sur ces questions
de formation,
je voulais seulement vous écouter
un peu pour voir où vous en étiez, et je ne
comptais pas du tout intervenir
G.L. : Cest le sens de ce recul qui mintéresse
A.B. :
Je vais peut-être commencer par
un exemple. Ma première expérience en terme
de formation a été un atelier de réalisation
pour les étudiants de maîtrise cinéma
à Lyon. Quand jai rencontré le directeur
du département, il ma dit : Voilà,
on vous donne le mois de mars . Et moi je lui ai dit
non, ça ne peut pas aller, le cinéma ça
ne se fait pas en un mois comme ça, ça demande
du temps. Je lui ai montré une grille de temps, très
straubienne, du 1er novembre à la fin juin, deux
jours par semaine, depuis l'idée première
jusqu'au au montage final, sachant que jallais devoir
gérer un groupe de vingt étudiants, qu'il
allait falloir à la fois apprendre à se connaître
et faire un film ensemble. Il ma dit oui. J'étais
arrivée devant lui avec l'intuition que, en l'occurrence,
le plus important cela ne devait pas être le cinéma.
Lyon est une pépinière de professeurs renommés.
Cest évident quils en savent plus que
moi sur le cinéma ; en ce qui me concerne, je peux
être considérée comme une amoureuse
du cinéma, une faiseuse dimages, mais cest
tout. Au niveau de la compétence, au niveau du savoir,
ils en savent plus que moi. Et je me posais la question
: Qu'est-ce que je suis ? Entre le cinéma
et moi, quest-ce quil se passe ? Entre le cinéma
et les autres quest-ce qu'il se passe ? Et moi dans
tout ça, quest-ce que je peux apporter ?
J'ai donc eu le sentiment que pour cet atelier, le plus
important, ce n'était pas le cinéma, mais
la cohésion du groupe. Une affaire relationnelle.
Et cela ma déjà orientée sur
le fait que lenseignement, je naime pas du tout
le mot enseignement, que le rapport à la connaissance,
est quelque chose qui se construit à deux. Il y a
eu récemment des articles sur la psychanalyse dans
Le Monde. Dans un des articles le journaliste rappelait
que la psychanalyse, ce nest pas quelquun qui
va voir quelquun dautre, cest un événement
assez exceptionnel, unique, qui se construit à deux.
Lanalyste a autant besoin de lanalysant que
lanalysant a besoin de lanalyste. Pour l'enseignement,
c'est pareil. Donc ça a été une première
piste dans mon cheminement. Penser la relation, avant de
penser le cinéma. Cette expérience très
intense a duré deux ans
Je me souviens que la deuxième année, à
la fin du premier trimestre, au cours d'un bilan sur la
mise en place de l'atelier, une étudiante, très
discrète, est intervenue pour dire, d'une façon
un peu abrupte: Jen ai plus appris en trois
mois quen trois ans. . Si j'ose faire référence
à cette réaction, ça n'est pas bien
sûr, par orgueil, ce serait piètrement dérisoire.
Mais il était évident que ce que japportais
à ces étudiants, était différent
de ce que les autres enseignants leur apportaient, que ce
n'était pas sur le même registre de savoir.
Et cétait peut-être dans ma faiblesse,
justement, avec ce sentiment de ne pas compter beaucoup,
de ne pas trouver ma place dans ce club fermé de
l'enseignement du cinéma, que cela ma permis,
m'a obligé d'aller voir ailleurs, en dehors du cinéma
et notamment du côté de la question du sujet.
Il est vrai que mon parcours de cinéma depuis vingt
ans, est doublé par un cheminement analytique
Pour dire que, depuis quelques années, je
ne me retrouve pas du tout dans les discours relatifs à
la formation au cinéma , ou tout au
moins dans ceux que je peux entendre. Je me retrouve dans
des lectures ou dans des contacts, ailleurs.
Au fil
du temps, à ma façon de dire : Le plus
important ce nest pas le cinéma , jai
ajouté autre chose : Lamour du cinéma,
ça ne suffit pas . Et justement ce matin encore,
ici, je trouve que certaines personnes
vous allez
toujours trop vite
on va toujours trop vite. On pose
les questions ou les problèmes, toujours trop en
aval. Il faut aller beaucoup plus en amont. Alors cest
vrai que ça ne concerne plus le cinéma. Cest
vrai quil faut aller voir ailleurs, à lécoute
de pensées et dexpériences que les gens
de cinéma ne nous apportent pas. Parce quils
sont pris, on est tous pris, dans la même idéologie,
et on ne se rend pas compte quon est tous des dominés.
Et donc il faut déjà essayer d'entrevoir ce
qui nous domine. Il faut dabord aller voir du côté
du rapport à la connaissance. Mais sur un plan général,
cest-à-dire en tant que personne humaine. Quest-ce
qui déclenche notre relation à la connaissance
?
Ça ma fait faire des détours
Du coup, jai découvert par exemple un philosophe
napolitain du XVIIIème siècle qui sappelle
Giambattista Vico, Je parle de cet homme, dans tous mes
ateliers de formation avec les enseignants, mais personne
ne me reprend, alors qu'il est désigné par
Alain Pons comme le philosophe de l'enfance ,
dans sa préface à De la méthode
des études de notre temps. Vico cherche notamment
à revaloriser dans l'instruction dispensée
aux enfants, les facultés d'ingenium, de synthèse
et d'imagination, avant de les soumettre trop tôt
à l'analyse cartésienne. J'ai découvert
aussi Bachelard, qui nous dit de ne pas confondre la connaissance
telle qu'elle se transmet de la connaissance telle qu'elle
se crée. On retrouve ces idées dans les pédagogies
dites actives . En lisant tout ça, je
pense à l'image, je pense au cinéma
Ça ma amenée aussi du côté
de Freud. Je crois, il faudrait vérifier, que Freud
à un moment parle de pulsion de connaissance. Et
puis aussi
l'amour du beau, l'amour de l'art, c'est,
pour lui, une façon de survivre au fait de savoir
qu'on va mourir. Qu'est-ce que lêtre humain
cherche comme sublimations pour arriver à survivre.
J'ai envie de rattacher le cinéma à des questions
de cet ordre-là
Je ne peux pas ignorer non plus qu'il y a aujourd'hui des
cinémas différents de celui que j'aime. Le
cinéma est en perpétuel devenir. Il y a une
multiplication des choix, des désirs. Quand j'interviens,
jinterviens avec tout mon amour du cinéma,
qui est bien spécifique, intransigeant, mais j'ai
besoin de prendre en compte lamour bien spécifique
aussi des enfants, pour me sentir utile et pour me sentir
dans mon temps. Il y a une multitude d'approches du cinéma.
Ne partir que de sa vision personnelle du cinéma,
c'est faire du génératio-centrisme
Ce que j'essaie de faire avec chaque enfant, en classe,
cest de déclencher en lui des pensées,
des sensations qui pourraient lui permettre de sentir que
le cinéma, ça a à voir avec bien dautres
choses qui nous constituent. Cest la figurabilité,
ses rapports avec limage mentale, cest le rapport
à la pensée associative
qui est une
forme de pensée peu estimée, malgré
tout ce que peut nous dire Godard. Et c'est pour ça
que dans une réunion comme aujourdhui, on en
arrive à mal juger la question du fragment, parce
quon naborde le fragment que dune seule
façon. Cest-à-dire quon laborde
par rapport à luvre entière. Alors
que si on aborde le fragment par rapport à la question
du montage, à la question de la pensée associative,
à la question du rapprochement, de la synthèse,
on construit autre chose. Je travaille beaucoup le fragment
dans les classes
et pour voir les films en entier
on emmène les enfants au cinéma le plus proche
de leur école
Le problème majeur, cest quon
ne pose pas les questions assez en amont, ce qui fait quon
patine toujours sur les mêmes difficultés,
qu'on désigne toujours les mêmes boucs émissaires
II
Quelques jours plus tard, je mets en forme ces idées
éparses pour élaborer une proposition concrète
Extraits du dossier Ouvrir le cinéma . Juin
2000 :
Il me semble avoir construit mon activité pédagogique,
progressivement, à partir de trois paradoxes.
Le premier paradoxe : Le plus important, ça
n'est pas le cinéma .
Pour le dire autrement : le savoir et les compétences
de l'enseignant ne suffisent pas pour que chaque élève
ou étudiant ait envie de s'approprier ce que l'on
veut lui enseigner . Avant de penser à
la matière il faut préparer un terrain favorable.
Pour les ateliers de réalisation cinéma que
j'ai animé à l'Université Lyon 2 j'avais
intuitivement pensé à créer d'abord
une dynamique, à faire exister le groupe comme ensemble
d'individualités complémentaires. La question
du cinéma est venue, après.
Cet atelier m'a permis d'entrevoir un autre rapport à
la connaissance que j'ai trouvé théorisé
quelques années plus tard chez un philosophe, Gaston
Bachelard : différencier (et donc pouvoir alterner)
la connaissance telle qu'elle se transmet (le cours magistral
en est un exemple) de la connaissance telle qu'elle se construit
(mise en évidence, notamment, de la relation, de
la synthèse, de l'intuition, et même de la
rêverie, dans l'élaboration d'une pensée,
d'un travail). Le travail en groupe, à égalité
des participants, privilégie tout naturellement cette
connaissance par construction.
Une question de méthode, donc ; valable aussi pour
le cinéma.
Le second paradoxe : L'amour du cinéma ne
suffit pas.
En partant de son propre point de vue sur le cinéma,
on prend le risque de se placer dans une démarche
volontariste ( Le cinéma, c'est bien, il faut
l'aimer en serait une phrase-caricature) et
génératio-centriste : c'est-à-dire,
faire de son propre goût, le modèle de référence.
Si le goût de chacun ne doit pas être renié
ou refoulé ( pas plus celui de l'enseignant que celui
de l'enseigné ) il ne doit pas pour autant être
la base sur laquelle s'élaborent des actions pédagogiques.
Dans le domaine des arts, la tentation est certainement
très forte et beaucoup plus sournoise qu'on peut
le penser.
Pour les situations mises en place lors de mes interventions
en milieu scolaire j'ai essayé qu'elles reposent
sur des bases communes, hors des questions de goût.
Tout d'abord, créer une tension, une relation entre
deux expérience de cinéma : celle des enfants
ou des adolescents et la mienne.
Cela m'a amené à considérer le cinéma
comme objet anthropologique avant de le désigner
comme objet culturel.
Faire ressentir, découvrir, que le cinéma
(qui est en premier lieu l'enregistrement, la reproduction,
la réception d'images et de sons, donc lié
à la fois à l'espace et au temps) met en jeu
des mécanismes élémentaires, de la
perception (la vue, l'ouïe), de notre fonctionnement
psychique ( la figurabilité, les affects - à
différencier du goût -, le phénomène
de projection/identification ), et de notre intelligence
( la pensée associative ).
Les affaires de goût peuvent ainsi venir
se greffer en restant du domaine de l'intime,
du personnel, sans brouiller , mais au contraire
en enrichissant le travail qui s'élabore.
Le troisième paradoxe : Je ne veux pas
enseigner le cinéma .
Dans les formules enseigner le cinéma ,
transmettre le cinéma , il me semble
que le jeu implicite des forces entre l'enseignant et l'enseigné
est trop unidirectionnel et qu'il risque, sans qu'on le
veuille, de se faire au détriment de l'enseigné.
Ce qui a été appelé le débat
scolaire a notamment remis sous les feux de l'actualité
toutes les expériences imaginées pour tenter
d'enseigner autrement.
En introduisant le cinéma immédiatement comme
objet culturel, artistique, dans un milieu de savoir comme
l'école, on en fait logiquement une matière,
une discipline. On aboutit nécessairement à
l'élaboration de programmes nationaux, normés,
destinés à être valables pour le plus
grand nombre et donc forcément plus ou moins réducteurs.
Parmi toutes les voix qui se sont faites entendre
sur la question de l'enseignement et sur la structure de
notre système scolaire, j' isole celle
de Suzanne Citron, professeur d'histoire :
Le système encyclopédique qui juxtapose
des disciplines énoncées dans
des programmes aux cloisons étanches s'est bureaucratisé
par la création en 1880 du Conseil supérieur
de l'instruction publique qui réunissait les représentants
des sept agrégations existant alors
En France, du fait de la bureaucratisation napoléonienne
et jacobine du mammouth, le système encyclopédique
s'est cristallisé et gonflé plus que partout
ailleurs
Ne serait-il pas temps de jauger le système
des savoirs scolaires à l'aide d'une grille conforme
aux métamorphoses des connaissances et des concepts
et aux transformations de notre société ?
(Libération, 10/2/1999).
La difficulté et l'ambiguïté de la question
se manifestent dans les options de la nouvelle équipe
en place au ministère de l'Education nationale, qui
à la fois souhaite créer une agence pour les
innovations pédagogiques (rendant implicite le fait
qu'il faut, au-delà des querelles internes, réfléchir
au plan national à d'autres manières d'aborder
la transmission des savoirs) et dans le même temps
commande pour la prochaine rentrée
une grammaire de l'image ( la grammaire étant, rappelons-le
l' ensemble des structures et des règles à
suivre pour parler et écrire correctement .
Que signifierait donc : apprendre à voir, à
percevoir, correctement ?)
L'Institution et ses programmes sont cependant inévitables
et indispensables. Mais il est possible d'en corriger les
aspects les plus normatifs par l'instauration au plan local
de petits dispositifs adaptés aux personnes et aux
situations, sorte de régulateurs de connaissance.
La création d'un lieu comme Ouvrir le cinéma
uvrerait dans ce sens.
Annick Bouleau, intervention aux «Entretiens de Marseille», organisés par l'UFFEJ, 28-30 novembre 1994.
Je travaille au sein du CNRS, mais
je ne suis pas rentrée au CNRS pour faire du cinéma.
Cest en cours de carrière que jai complètement
changé de cadre professionnel. Jy suis venue
par mon désir de cinéma. Je comprends donc
les mots de Dominique, cela a été un peu dur,
mais cest une autre histoire. Depuis quatre ans environ,
jai quelques contacts avec le milieu enseignant. Ces
différentes expériences ont amené des
questionnements. Elles nont pas forcément de
valeur universelle, mais elle ont la qualité dexister
et pourront peut-être servir à un débat
ultérieur.
Tout dabord, jai limpression que lintroduction
de la création dans un milieu de savoir, denseignement,
jette le trouble, déplace les cartes. Ce nest
pas innocent et ce nest pas simple. Il faut mettre
les choses un peu en place, au départ.
Ma première expérience a été
avec des étudiants. Donc, ni des lycéens ni
des scolaires. Cétait à lUniversité
Lumière Lyon 2.
Jai animé pendant deux ans un atelier de réalisation
au niveau de la maîtrise cinéma: jarrivais
fin octobre. On partait dune idée et au mois
de mai on devait arriver à la conformation du film
réalisé. Il y avait une vingtaine détudiants.
On a travaillé avec les moyens techniques de lUniversité:
en BVU couleur. Jai accompagné les étudiants
sur toutes les phases du film à raison de deux jours
consécutifs hebdomadaires. Avec une organisation
très stricte pour arriver à ce que tous les
étudiants travaillent, vraiment. Javais imaginé
une économie entre nos moyens techniques, le scénario,
le tournage et le montage. On a travaillé par petits
groupes de cinq. Un film en relais en quelque sorte, même
sil ne sagit que dune seule histoire.
De la sorte, chacun se sent responsable par rapport au travail
des autres. Sil y avait donc un groupe qui flanchait,
le film ne pouvait pas aboutir.
Au cours de cet atelier, ce qui ma rendue perplexe,
cest la relation entre le savoir théorique
et le passage à lacte de création. Il
y avait quelque chose qui nallait pas, dès
la phase de repérages. Je privilégie toujours
beaucoup les repérages: on a une idée globale
du film, mais on nécrit rien avant daller
voir le réel, avant de voir ce que le
réel peut nous apporter comme idée
par rapport à notre pouvoir dimagination personnelle.
Là, jai pu constater où le bât
pouvait blesser: quand les étudiants étaient
confrontés à leur propre objet denseignement.
Lorsquils étaient amenés à faire
du cinéma, tout leur savoir théorique ne servait
quasiment plus à rien, apparemment. Ils étaient
complètement démunis. Par exemple, au niveau
des repérages ils avaient eux-mêmes
choisi les lieux lorsquils se trouvaient sur
place, ils narrivaient pas à faire fonctionner
les multitudes de regards quun réalisateur
doit avoir pour chercher, pour happer des choses, pour les
digérer et arriver à envisager une séquence,
un plan, une scène. Au moment du tournage, cétait
un peu la même chose. Enfin, je généralise.
Ce nétait pas toujours le cas. Dans la pratique,
un film se constitue avec des plans. Il faut donc choisir
le point de vue, laxe, la focale, regarder dans le
viseur les limites du cadre, les rapports entre tous les
éléments contenus dans le cadre. Certaines
fois, ils étaient prêts à planter la
caméra, là, sans vraiment travailler, chercher
un cadre. Comme muets, alors quils avaient décortiqué
des tas de films, quils étaient capables de...
Ils connaissait tous les codes. Dans les court-métrages
quils avaient déjà réalisés,
le rapport plan densemble/plan large/ plan rapproché,
par exemple, ou bien le champ/contre-champ, tout cela était
géré, sans problèmes, mais dans le
même temps, au moment de passer à lacte,
cétait comme si ils perdaient toute dimension
critique, tout esprit inventif. Comme sils étaient
largués.
A lépoque, je pensais que cétait
normal parce que mon approche du cinéma nétait
pas initalement passée par le savoir. Dune
façon un peu égocentriste, je projetais un
peu sur eux la façon dont javais abordé
personnellement le cinéma. Mais le savoir, la théorie,
cest quelque chose de forcément généralisateur.
Quand on étudie la théorie à lUniversité,
on ne choisit pas, on apprend toutes les tendances, les
courants, on essaie de les évaluer, mais on ne fait
pas forcément de choix personnels. Cest du
savoir. Quand on passe à lacte, quand on veut
créer quelque chose, la plus part du temps, au départ,
on rejette à quatre-vingt-dix-neuf pour cent tout
ce quon a vu. En tout cas, cela sest passé
pour moi comme ça. Jai travaillé deux
ans au service cinéma du ministère de lagriculture,
et pour tout ce qui sy faisait, je me disais: ça,
je ne le ferais jamais! Ça non plus! Et jétais
très angoissée parce que je nétais
pas encore capable de me dire ce que jaurais fait
à leur place.
Alors, jémets cette hypothèse: pour
quil y ait un vrai lien entre ce savoir qui
est absolument nécessaire. On ne peut pas être
innocent et faire comme si rien navait existé
auparavant mais, entre le savoir et le passage à
lacte dans un milieu enseignant où les étudiants
sont là un peu par hasard (fascination du mythe cinéma,
effet de la communication, etc...), ce qui peut faire le
lien, cest la découverte de son propre élan,
de son propre désir. Ce nest pas évident,
certains en ont déjà peut-être lexpérience.
Pour dautres, cela va les amener à toucher
leurs propres désirs, leurs propres ouvertures. Le
mot désir a tellement été
utilisé que jai pensé au mot élan.
Le travail de lintervenant doit aller dans ce sens.
Il est vrai que cette expérience, je lai menée
pendant deux ans. Je lai arrêtée pour
des raisons annexes, mais en même temps, je me dis
que peut-être je naurais pas pu la continuer
plus longtemps, parce que cétait deux jours
hebdomadaires intenses et épuisants. Jai le
sentiment que je leur donnais surtout de lénergie,
je faisais passer mon désir personnel de cinéma
pour quil y ait une sorte de contamination et quils
y trouvent quelque chose pour eux et aussi leur voie. Je
crois que cest important. On peut croire quil
suffit de connaître les codes, de savoir comme un
découpage classique se construit, etc... pour faire
un film. On finira peut-être seulement par faire de
lacadémisme, à seulement reproduire
les codes, sil ny a pas non seulement le désir
de faire, mais le désir de lutter contre ces codes,
de les digérer, de les interpréter autrement.
Face à ces étudiants, jétais
toujours trè radicale. Je disais: Oui, il a
des façons de faire que je rejette, que je refuse.
Vou aussi, vous devez trouvez vos propres rejets.
Quitte après à transgresser. Par exemple,
il y a quelque chose que je ne fais jamais (mais cela a
fini par arriver!), cest que je ne sépare jamais
le son synchrone de son image. Cest un principe,
je me sens entre guillemets très straubienne là-dessus.
Pour moi, cest impensable. Si jai un problème
dans un film avec le son dun plan et que je veux malgré
tout, absolument, ce plan, alors je le monte en muet, mais
il est hors de question de colmater, de faire semblant...
Il sest trouvé que lannée dernière
jai fait un film où jai dû transgresser
ce principe. Cest là quil
y a du plaisir, et aussi de linvention, justement,
à partir de codes, darriver à trangresser,
trouver une issue. Ce qui fait quà chaque fois
on a limpression de repartir à zéro,
de recommencer et dapporter son petit grain de sel.
Ma deuxième expérience, nest pas tout
à fait une expérience pédagogique,
mais elle a été ma première approche
du milieu de lenfance.
Ginette Dislaire, responsable de la salle lEden au
Havre mavait demandé de réaliser un
film et de porter un regard sur les Deuxièmes
rencontres nationales Cinéma et Enfance quelle
organisait en 1993. Ce nest pas tous les jours quon
vous passe commande dun film! Mais cela ne mintéressait
pas tellement de faire seulement un reportage. Jai
cherché, si, par rapport au sujet, je ne pouvais
pas construire vraiment un film. Même à partir
de tables-rondes, car les Rencontres du Havre,
ce sont essentiellement des tables-rondes, des projections
et des ateliers pour les enfants.
Je me suis dit: Comme je vais filmer des adultes qui
vont parler des enfants, je vais aussi aller voir des enfants
pour écouter ce quils ont à dire personnellement.
Les adultes avaient bien évidemment un discours de
distance, de critique et je nai pas voulu faire avec
les enfants des entretiens très distanciés,
très critiques. Je leur demandais de me raconter
un bout de film, grand ou petit, dont ils se souvenaient.
Jai pris des enfants dans la rue, je suis entrée
chez un coiffeur et jai parlé avec lenfant
qui était là. Comme jétais en
contact avec des instituteurs qui assistaient aux Rencontres,
je suis aussi rentrée à lécole.
Javais également assisté à des
ateliers de montage avec Christian Zarifian. Jy avais
repéré deux petits gamins qui mattiraient,
qui nétaient pas forcément considérés
comme de bons élèves. Javais envie,
disons, de les filmer, de leur parler, dentrer en
relations, ne serait-ce que cinq minutes, avec eux. Dans
la même classe, jai également filmé
dautres élèves, des bons
élèves, car lenseignant avait bien normalement
envie de me faire connaître le meilleur
de sa classe. Il sest trouvé que ces choix
ont été révalateurs dune certaine
situation. En ce qui concerne les bons élèves,
bien que leur ayant dit très précisément
que je nétais pas institutrice, ils mont
mis à la place de leur institutrice,
et, comprenant le système, ils se sont adaptés,
ils ont joué le jeu quils pensaient que je
voulais quils jouent. Cest à dire quils
mont raconté uniquement des films quils
avaient vus avec lécole. Jai monté
intégralement dans mon film un de ces entretiens.
Cela dure dix minutes. Finalement, le jeune garçon
ma racontera aussi des histoires de films avec des monstres,
ou des histoires impossibles. Par contre, les mauvais
élèves, en difficulté, ont tout de
suite dit je dune façon ou dune
autre et mont sans transition raconté leurs
films préférés. Là, cest
moi qui ai dû les mettre sur la piste des films vus
avec la classe. Avec le petit Johnny, par exemple, quand
je lui ai demandé: Et le film de ce matin,
tu ten souviens? Il sagissait de
Gosses de Tokyo il ma répondu: Oui,
mais jai rien entendu, cétait un film
muet. Jai rien compris. Lui aussi sadapte
donc au système. Il sait quil est
toujours le dernier, quil ne comprendra jamais rien.
Ce nest pas de lécriture, du calcul ou
de la géographie, mais, forcément, il na
rien compris. Il y a toujours un peu de suspens quand on
conduit un entretien. Un peu désemparée, je
lui ai demandé: Mais tu as vu quelque chose,
il y avait quelque chose sur lécran, quest-ce
que tu as vu dans les images? A ce moment-là,
sa parole a déferlé. Il avait vu des choses.
Il avait vu des choses qui le concernait très personnellement
(je lai appris par lenseignant). Il a été
très sensible aux rapports avec le père, aux
problèmes de nourriture. Et il avait bien compris,
même si cétait muet, que lun des
deux frères ayant reçu une tarte,
le second avait fait en sorte déviter de sen
prendre une aussi. Il avait tout a fait compris
cela. Après, un silence de ma part, cest lui
qui a relancé la parole: Il y a une chose que
je ne comprends pas, cest cette histoire doeuf!.
Cest le seul enfant qui dans ces entretiens a osé
dire je, sexprimer, pour dire en plus
quil ne comprenait pas! Ces entretiens mont
fait réfléchir à une question.
Petite parenthèse: dans mon rapport à lécriture,
à la façon dexprimer une pensée,
je me sens tout à fait moyenne, pas forcément
toujours très intelligente, mais quand
je fais des images ou surtout quand je construit une séquence
à la table de montage, quand, à la fin, je
réussis, tout à coup, je me sens un peu intelligente.
Jai fait fonctionné mes capacités,
dune autre façon; jai réussi à
produire quelque chose.
Donc, ce qui me fait un peu peur dans lintroduction
du cinéma à lécole, cest
que dans un système de savoir, on est obligé
de codifier, de classifier, dordonner, de soumettre,
aussi. Si le cinéma est soumis à une pensée
logico-philosophico..., je ne sais comment dire,
on perd lessentiel du cinéma, qui est pour
moi, une question de perception, dimagination, dassociation.
Jen ai encore eu lexpérience en montant
récemment Les chemins dIrène,
un film dAlain Bergala sur Europe 51 de Rossellini.
Sur une simple table de montage vidéo en 3/4, ce
nest pas toujours évident, surtout pour le
son. Alors, quelquefois, on sent lidée, mais
on serait bien incapable de la formuler. Il y avait des
séquences assez compliquées où je devais
retomber sur mes pattes entre des images de
vitesses différentes et plusieurs sources de son.
Je sentais lidée conductrice, mais
en même temps, jaurais été bien
incapable de la formuler. Je ne prenais même plus
le temps de noter les time-code (et pourtant cest
indispensable!) de peur de perdre le fil. Ce qui primait,
cest que je devinais que jallais pouvoir arriver
à exprimer quelque chose avec les images et les sons,
mais cétait le faire qui allait me
le permettre. Je ne pouvais plus me permettre de réfléchir
avec calme. Donc, ce qui minquiète un peu,
cest que je sais pas du tout comment on va se débrouiller
en mêlant création et savoir. En introduisant
le cinéma dans un monde de raison.
Une autre expérience est celle à laquelle
je participe cette année au Havre, dans le cadre
de lopération, Le Cinéma, Cent ans
de jeunesse.
Les enfants vont devoir faire de courtes réalisations,
liées à Lumière et à Méliès.
Ce sont des points de repère, il ne sagit pas
vraiment de faire à la manière de.
Disons que dun côté cest le cinéma
qui capte le réel et de lautre celui qui invente
un monde. Avant de passer à la phase de répérages
et à la réalisation, jai fait deux séances
de nettoyage de regard. Avant de parler de théorie,
sémiologie, etc... je le fais aussi avec des
adultes il faut que chacun soit sensible au fait
que en tant quêtre humain, on est tous capables
de percevoir, dimaginer, dassocier.
Je travaille à partir de photos et de diapositives.
Je demande dans un premier temps que lon décrive
tous les éléments de la photo, sans porter
de jugement. Avec les enfants de CM1, nous avons travaillé
sur une photo de Richard Avedon, Dovima et les éléphants.
Cest un mannequin de Christian Dior, au milieu de
quelques éléphants. Donc, il y a de la paille,
un femme en robe longue, une ceinture, des chaines, des
cheveux, un, deux, trois éléphants, etc....
On a découvert quen fait, il y avait quatre
éléphants mais certains nen avait vu
que deux ou trois. Effectivement, du troisième éléphant
on voyait une patte qui ne pouvaient appartenir aux deux
éléphants bien visibles, donc on en déduisait
la présence dun troisième animal. Puis
il y avait une masse noire, sur le bord de limage.
On en déduisait, comme on avait déjà
trois éléphants, que cette forme ronde et
noire, était un bout dun quatrième éléphant.
Si lon ne voyait que cette masse noire, cela aurait
pu être.... et il y a cet enfant, très en difficulté
selon son maître, qui est aussitôt intervenu
pour dire Cela pourrait être un tronc darbre.
Il avait découvert le principe de limagination
qui fonctionne avec le cadre et le hors-champ.
Alors je me dis que si on utilise le cinéma avec
ses propres atouts, les atouts dassociation, les atouts
de déclenchement dimaginaire, dimagination,
on pourrait peut-être donner à certains la
chance de révéler leurs propres capacités,de
les rassurer, de leur donner une force pour avoir plus délan
vers les autres enseignements pour lesquels ils ne sont
soi-disant pas bons. Peut-être me direz-vous
le contraire? Je crois quil y a quand même lindice
de quelque chose.
Autre expérience. Autre anecdote, pour revenir un
peu sur la perte de sens critique, mais dune autre
façon que tout à lheure.
Je dois également intervenir à lécole
primaire, sur un projet de classe dite transplantée,
dans le cadre dune initiation au cinéma. Le
mot cinéma a donc été prononcé.
Au cours du travail préalable avec lenseignant,
celui-ci mavait remis quelques éléments
qui pouvaient nous servir de base pour ce projet (un voyage
dune semaine avec une classe et une caméra).
Parmi les éléments que proposaient lenseignant,
il y avait notamment des micro-trottoirs. Jai été
très étonnée, car, pour moi le micro-trottoir
c est le énième avatar dune figure
essentielle du cinéma qui est la rencontre avec lautre,
lentretien. Filmer la parole et le corps de quelquun,
cest entrer en relation avec lui, apprendre à
le connaître, et le micro-trottoir est totalement
linverse. Cest un jeu inventé par la
télé. On peut peut-être parfois y trouver
des choses intéressantes, mais il ny pas une
instauration de lécoute, une attente de lautre.
Dans ce jeu, les gens jouent à donner les réponses
que vous attendez ou à se faire piéger. Alors
que cet enseignant poursuit par ailleurs, au niveau des
matières purement scolaires comme au niveau de lenseignement
artistique, un travail exemplaire avec ses élèves,
au moment encore où on passe à la pratique,
à la réalisation, à nouveau le sens
critique se perd, il y a brouillage. En fait, la raison
pour laquelle cet enseignant voulait que ses élèves
fasse du micro-trottoir, cétait pour leur donner
loccasion davoir du toupet. Jai
alors répondu que nous aurions mille occasions dêtre
obligés davoir du toupet en faisant de simples
plans de cinéma.
Bien souvent, sans nous en rendre compte, on mélange
les genres. Par exemple, cinéma et journalisme. Le
journaliste doit transmettre de linformation. Il est
lémetteur et doit essayer de transmettre au
plus près linformation. Sil ny
arrive pas, il ne fait pas son métier. De même,
le journaliste dimage. Il faut absolument que celui
qui reçoit le message ait compris au maximum. Le
cinéaste nest pas du tout dans la même
posture. Le cinéaste a droit au mystère, au
non-dit. Jai entendu Beinex dire, au moment des entretiens
de Beaune, justement, que le cinéaste avait droit
à lerreur.
Un film est toujours pour moi quelque chose où il
y a des trous, des manques, et cest au spectateur
justement, de faire un bout de chemin pour reconstruire
avec sa faculté dimagination et dassociation,
de reconstruire ces manques. Dans le cas dune initiation
au cinéma sous forme de stages pour des adultes ou
des étudiants avancés, on arrive souvent à
comprendre les choses en marquant les différences,
donc en parlant de la télévision et de tous
les types dimages quelle diffuse, en pensant
au monde virtuel aussi qui arrive. Les enfants sont déjà
prêts. En les écoutant parler de
leurs expériences de spectateur à Poitiers
ou à La Villette on sent que la notion dauteur
va changer. Cest une notion romantique qui, avec les
souris et les prothèses en tout genre va complètement
se modifier. Le spectateur va entrer par exemple
dans le scénario pour le modifier. Les enfants perçoivent
tout ça. Il faut donc arriver à bien séparer
les genres, non pas dune façon autoritaire,
mais simplement pour les reconnaître... Je suis prête
à faire une Pub avec les enfants, cest jouer
avec limage autrement. Un film, cest autre chose.
Il faut que la différence soit repérable.
Par rapport aux expérience pédagogiques dans
un cadre denseignement institutionnel, il y a un point
que je voudrais aborder. Cest la question du temps.
Cest une difficulté que jai rencontrée
à la fois à LUniversité, à
Lyon, et dans les Ateliers Lumière-Méliès.
A Lyon, quand jai rencontré le directeur, il
ma dit: On vous donne un mois sur lannée,
février ou mars, pour faire le film. jai
répondu: Non, ça nest pas possible.
Je vous propose de venir deux jours par semaine sur toute
lannée. Un film ne se fait pas entre
le moment où lon déclenche la caméra
et celui où on larrête. On a besoin de
penser, de vivre, il y a un temps de maturation. Les institutionnels
oublient cela très souvent dans lélaboration
de leur programme. Il est vrai que ces ateliers pratiques
coûtent très cher en temps et en argent. Mais
on ne peut évincer ce facteur temps.
La question se pose donc dune façon analogue
sur les ateliers Lumière-Méliès. Il
ny a pas assez de temps et je suis parfois obligée
daller trop vite, ce qui peut être grave. Dans
la classe de collège, je vois les élèves
au cours de séances de deux heures, parce que latelier
est pris sur le cours de français qui dure deux heures!
Je trouve que ce nest pas très bien dêtre
limité ainsi parce que souvent les choses avancent
par la répétition, la maturation. En primaire,
jai trois heures, ce qui est déjà totalement
autre chose. La découverte a le temps de sinstaller
et le savoir des enfants a le temps de circuler. Jessaie
toujours de partir de leur savoir, je les relance... ce
qui est très difficile en deux heures. Létat
dans lequel je voudrais quils soient na pas
le temps de sinstaurer en si peu de temps. Ils restent
en état de recevoir un savoir, notre
relation ne peut pas vraiment prendre. Vous
qui êtes plutôt des partenaires institutionnels
que des intervenants, je ne sais pas ce que vous pensez
de cette situation....
Je terminerai sur un dernier point.
Introduire la création dans un milieu denseignement
et de savoir, cest aussi un risque pour celui qui
intervient.
On navigue pendant un certain temps... comme
si la classe était à double-commande.
Il y a une intimité entre lenseignant et les
élèves qui se crée au fil des jours,
et tout dun coup, on arrive comme un cheveu sur la
soupe. On casse un peu ça et on arrive avec des choses
précises à faire, que peut-être lenseignant
a déjà préparé. Au niveau du
cinéma, il y a des classes et des enseignants qui
sont sans expérience aucune. Dans ce cas, cest
un peu plus facile, il suffit dêtre à
lécoute, lenseignant lui aussi est terriblement
à lécoute. Cest un peu plus difficile
quand lenseignant à déjà introduit
dune façon ou dune autres les arts dans
sa classe. Il a ses méthodes, ses habitudes. En quelque
sorte, il a rempli sa boîte à outils,
qui nest pas forcément la même que la
vôtre! Au niveau théorique, il y a des tas
de points de vue, de modes de pensée et, comme je
le disais tout à lheure, quand on a un désir
dimage, on aurait plutôt tendance à être
autoritaire, intransigeant, par rapport à ses propres
préférences.
Et donc, il y a des situations où lon peut
être en désaccord avec le point de vue de lenseignant.
Comment réagir? Cela vient de marriver à
propos de la définition de linsert. Dans la
pratique, les questions théoriques arrivent autrement,
de côté, souvent quand on ne sy attend
pas. Au collège, cela sest passé quand,
par petits groupes de trois ou quatre, les élèves
passaient au viseur pour repérer les
différentes grosseurs de plans que permettait la
caméra. Celui qui visait devait nous dire ce quil
voyait, notamment les limites du cadre. Un autre élève
devait noter ce quil nous décrivait. Comme
cela allait trop vite, jai proposé décrire
par abréviations : PE, PL PA, etc... jen suis
venue à dire que cela marrivait même
décrire TTGP quand je voulais me souvenir que
cétait un plan encore plus rapproché
quun gros plan, mais que cétait une notation
tout à fait personnelle. Une élève
a dit alors quil sagissait dun insert.
Jai aussitôt répondu que non. A lissue
des deux heures, lenseignante était troublée
: Tu leur dis des choses, mais moi je leur ai dit
autre chose. Il vont être perturbés.
cest vrai, mais cest un risque à prendre.
A la séance suivante on a fait un petit travail théorique
sur nos points de vue opposés. Dans ce cas précis,
nous étions en train de travailler sur le sytème
déchelle des plans. Et pour moi, linsert
ne rentre pas dans la classification déchelle
des plans. Linsert, à mon avis, cest
une fonction qui à a voir avec la durée. Un
insert est forcément ultra-rapide mais peu être
un gros plan ou un plan densemble. Jai donné
lexemple dun film des étudiants de Lyon
où des plans très larges avaient été
montés en insert. Effectivement pour ce professeur
linsert-type, cest le bouton de porte dans un
film dHitchkock. Si on reprend les codes et leur usage
classique dominant dans lhistoire du cinéma,
jai peur, comme les enfants sont dans un état
très très vague de désir de cinéma,
certains nauront peut-être jamais de désir
de cinéma, jai peur que ça les
ferme très vite, et quils ne trouvent
pas leur idée. Ils vont tout de suite
faire des films à la manière de,
et ils ne vont pas avoir lidée, la liberté
dinvention, de se dire: Là, je choisis
de mettre un plan large. Dans cet exemple, lenseignant
pensait plutôt espace et moi je pense
plutôt durée. On va en reparler
à la prochaine séance, à partir dexemples
cinématographiques. Au bout du compte ce nest
pas négatif, mais il y a quand même du risque.
Donc, dans de telles situations, sans pour autant perdre
son propre désir de cinéma, ses propres convictions,
il faut pouvoir trouver le moyen darrondir les
angles, montrer quil y a des tas de possibilités,
mais tout en continuant à saffirmer. Si je
me plie complètement, je ne suis plus
moi-même, je me renie, et je risque de ne plus croire
en ce que je fais... Il y a donc un vrai risque de la part
de lintervenant qui rentre un peu dans la gueule du
loup, en arrivant en classe.
Interventions dans le débat
... Il faut savoir où on place la rigueur et où
on place le plaisir.
De toutes façons, au niveau de la morale, quand on
fait un plan, c'est un choix, c'est une prise de position
par rapport à ce qu'on veut filmer, donc si on fait
une plongée, une contre-plongée, si on fait
un gros plan, ce n'est pas innocent. c'est vrai que j'aime
bien les cinéastes du dispositif, c'est-à-dire
les gens qui s'imposent des choses et qui vont les faire
éclater. Straub c'est ça. Il faut savoir où
mettre la rigueur.
Un film, c'est une gestion, c'est une organisation, c'est
un travail, et puis il y a des moments qui ne sont plus
du tout ça. C'est pour ça que je privilégie
beaucoup les repérages, tout ce travail de construction,
d'association, de regard un petit peu avant, parce que j'ai
l'impression que, au moment où on dit "moteur",
tout est déjà joué. Et c'est la qu'on
est ouvert à tout ce qui va pouvoir perturber ce
qu'on a imaginé, ce qu'on a prévu, qui ne
se passe pas ... C'est là que le désir intervient,
entre autre. Il intervient quand on cherche une coupe, et
puis d'un seul coup on trouve le raccord. Là c'est
exaltant. Je cherche toujours à faire partager ça,
mais ce n'est pas organisé chez moi. C'est peut-être
pour ça que je m'épuise beaucoup quand je
fais des ateliers, parce que je vais un peu trop fort dans
ce que j'aime, dans ma conviction, mais je suis comme ça.
Le mot 'norme' ne me dit trop rien. Le dispositif est un
mot qui est moral, il induitla rigueur, mais il faut savoir
où on la place. Justement, quand on la place quelque
part, ça permet que tout puisse arriver.
(...) La rigueur, il faut la placer au bon moment, au bon
endroit. A Lyon, par exemple, dès le départ,
ça été : éclairage interdit.
Avant toute chose, découvrir la lumière naturelle.
Cest une grande rigueur, mais on découvre quavec
un petit miroir et une plaque de polystyrène, on
est obligé de chercher, de travailler, de courir
après le soleil. Donc il y a une rigueur quelque
part qui permet darriver à réussir son
plan et davoir du plaisir. Je suis pour la rigueur
des petits moyens. Les étudiants, souvent, ont Spielberg
en tête, cest vrai. Donc ils pensent tout de
suite, travelling, grands mouvements, etc... Jarrive
et je leur dis : pas déclairage, pas
de travelling... Ils sont dabord assez déçus...
Mais au moins apprendre à être humble par rapport
à ce quon filme. Un seul plan fixe dun
verre sur une table peut nous apprendre davantage sur le
cinéma quun plan avec grue, etc... Je ne renie
pas la grue, je suis passionnée par le début
de La Soif du mal de Welles, mais soyons humbles
par rapport à nos moyens et à nos capacités.
Cest vrai, quau départ, certains étudiants
ne comprenaient pas beaucoup. Il y en avait qui avaient
déjà un peu dexpérience, ils
voulaient se permettre de perdre du temps avec la technique.
Jai dit non. On perdra du temps autre part. On perdra
du temps à trouver son cadre, on perdra du temps
avec les acteurs, on perdra du temps à refaire des
prises, mais on ne perdra pas du temps pour faire comme
si on avait de gros moyens.
(...) Je me trompe peut-être mais la pellicule chimique,
pour moi, c'est un moment historique. Il y a forcément
quelque chose qui disparaîtra. Le cinéma, ce
n'est pas seulement du chimique, c'est surtout une relation
à l'autre, c'est surtout l'établissement d'une
distance, donc une représentation, donc effectivement,
dès qu'on touche à nouveau à la pellicule,
j'y ai retouché récemment, c'est un plaisir,
mais on sent que c'est quand même du passé.
Il y a quelque chose qui m'a beaucoup bouleversée
quand même. C'est vrai qu'on aimerait bien tourner
en 16, mais c'est mieux de tourner en vidéo et de
se poser la question de la distance et du rapport à
l 'autre, que de tourner en 16 et d'oublier cette chose-là.
s