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« Quand on voit un arbre, je ne vois pas ce qu’il y a comprendre ! »
Jean-Luc GODARD et KING LEAR
Club de l’Étoile, Paris, 24 novembre 1987.
Échange avec le public à l’issue de la projection de 20 heures de King Lear programmé dans le cadre de la Semaine des Cahiers du cinéma (Festival d'automne), en présence de Serge Toubiana d' Alain Bergala, ainsi que du directeur du Club.
Enregistrement sonore 53' 40 [Écoutez !]
[PDF]
En novembre 1987, j’ai donc filmé avec la paluche Aaton un échange entre Jean-Luc Godard et le public qui venait d’assister à une projection (la première projection parisienne ?) de King Lear présenté au club de l’Etoile à Paris, dans le cadre de la Semaine des Cahiers du cinéma.
Ces enregistrements sont restés, pour l’instant, à l’état de rushes. La retranscription avait été faite immédiatement en vue d’un montage à venir (et non d’une publication écrite). J’ai donc peu « nettoyé » ce texte pour me laisser des repères de « coupes ».
Quelques extraits ont été présentés sur le stand des Cahiers du cinéma, lors du Salon du livre de l’année suivante. Et puis c’est tout. Les cassettes U-matic sont enfouies dans une malle métallique (piètre protection !). Au fur et à mesure que les années passent, dans quel état ?
Ce 24 novembre, devant l'affluence, il y aura finalement deux projections de King Lear. La discussion avec le public de la première séance de 20 heures sera interrompue pour laisser la place aux spectateurs de la seconde (23 heures).
Cette soirée était co-présentée par Serge Toubiana, alors directeur de la rédaction et rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, Alain Bergala, membre du comité de rédaction et directeur de collection, ainsi que par le directeur du club de l’Étoile.
Je n’ai pas eu de contact avec JLG, c’est Alain Bergala qui s’est chargé, sur l’instant, de lui demander l’autorisation de filmer.
Pendant l’installation du micro, JLG et la salle ont déjà commencé à se parler. La salle réagit joyeusement et bruyamment, comme elle le fera d’ailleurs pendant toute la durée de l’échange, aux plaisanteries de JLG, qui n’est pas d’humeur mélancolique non plus ce soir-là. Au cours de ce moment d’attente, il est question notamment des difficultés du cinéaste avec la langue anglaise qui ne lui font comprendre que la moitié de ce qui se dit dans son film… Je me souviens aussi, mais cela n’a pas été enregistré, que JLG, ayant constaté la foule qui se pressait pour entrer au club de l’Etoile s’est souvenu du temps de sa jeunesse quand il lui arriva de passer quasiment la nuit à la porte de la Cinémathèque pour voir certains films invisibles en France et tant attendus. Il me semble qu’il a cité Eisenstein.
[cassette 1]
Jean-Luc GODARD : … Je trouve déjà que d’en comprendre la moitié, c’est pas mal, tout de même !… Si vous vous mariez et que vous connaissez déjà la moitié de votre future moitié, c’est déjà quelque chose…
[Le directeur du club de l’Etoile donne la parole à la salle.]
JLG : Je sais pas… s’il y a des questions à poser, comme on dit… Je sais pas… Ouais ! allez-y, monsieur !
Un spectateur : Je voudrais vous poser deux fois la même question… La première serait un peu les rapports entre cinéma et théâtre et la deuxième sera ce que vous penseriez d’une adaptation de votre film au théâtre.
Une enquête pour trouver une guide
JLG
: C’est un film que j’ai traîné… enfin, pensé longtemps. Mais il y avait un contrat avec un… des types assez… un peu genre… c’était, Deux des trois Stooges, un peu… je ne sais pas si vous vous souvenez de cette série… mais qui étaient… sympathiques, de ce point de vue-là. Et puis… le film… moi, je pensais faire une enqu… De toute façon le but, c’était de faire… moi, mon envie c’était… — ou mon désir —, c’était de m’approcher, si vous voulez, d’un continent que je ne connais pas.
Et je pense, d’une certaine manière… quand j’ai fini le film… après… qu’on m’a dit : « Mais vous n’avez jamais… », … je ne me suis pas vanté… mais ça me paraissait la moindre des choses de n’avoir jamais lu la pièce… mais d’avoir envie de la lire ! Comme je fais du cinéma, cette envie se transforme en film ! Quand on achète un livre ou un disque, on ne le connaît pas. Des fois, on s’en souvient et on le rachète. Mais la première fois, on ne le connaît pas.
Donc, il y a ce phénomène de la… première fois où je suis toujours resté, qui est le phénomène du documentaire… C’est pas un documentaire sur un
tonnelier ou… c’est pas un documentaire sur un… un
esquimau qui part à la pêche : c’est un documentaire sur une contrée où il y a un certain langage… que je ne connais pas du tout !… dont j’ai entendu parler et que j’ai pu approcher, et que je n’ai jamais vu au théâtre… Si quelqu’un m’en a donné envie… de le voir… ce sont des gens de cinéma, en particulier Orson Welles.
Et… et du reste, le projet, pendant un moment, ça a été simplement de faire une enquête. Et puis moi, je pensais livrer un film, — où comme ça, ça suffisait en échange de l’argent que j’avais eu… — qui était une enquête sur des gens célèbres dans le cinéma, qui avaient approché, qui étaient… J’avais contacté… Laurence Olivier, et puis… il était mort !… Et puis, j’ai contacté Bergman… dont j’avais lu qu’il avait monté Le Roi Lear en suédois, il y a quatre ou cinq ans, ici… Et puis surtout Orson Welles qui avait toujours eu le projet… — du reste, on a donné de l’argent à Orson Welles, mais hélas ! il est mort trois mois après !… —. Et le premier projet c’était de faire simplement un entretien avec Orson Welles pendant deux ou trois jours… dans un espèce de… garage de voitures d’occasion à Los Angeles, qui serait tenu par… trois filles, et puis de le faire parler du Roi Lear et de le filmer en train de faire ce qu’il voulait. Comme il avait toujours besoin d’argent, il était prêt à ça. Et puis de ça, après, on se serait vu…
Pour moi, si vous voulez, c’était une introduction, un guide… d’avoir un guide qui m’amène dans un pays étranger que je ne… connaissais pas ! Comme Christophe Colomb je pense, quand il a cherché l’Amérique, avait quand même un navigateur qui connaissait vaguement… Du reste, Christophe Colomb, il a cru avoir découvert les Indes !… et il s’est… Donc, je me dis… je ne sais pas ce que j’ai découvert là… mais c’était aborder quelque chose.
Norman Mailer, sa fille… et Cordelia
Ensuite, il est venu une autre idée. J’avais des liens avec Norman Mailer… un peu… Je lui ai proposé de m’introduire… là-dedans, avec son avis. Comme il a une famille… et d’après ce que j’avais entendu dire, du Roi Lear… La manière dont vivait Norman Mailer, qui est un petit potentat… qui a son royaume !… avec sa famille !… avec trente-six femmes !… soixante filles !… enfin… sa maman !… enfin… beaucoup de choses !… de le filmer chez lui tout en parlant de ça, mais sous son vrai… sous son vrai nom ! et que lui, m’aide à… Je crois qu’il n’a pas compris ça, ou qu’il n’a pas voulu le comprendre… Et quand il a vu qu’il fallait vraiment… on a tourné un plan… et après un plan, il est parti !… Et donc, je me suis retrouvé, là… Il fallait faire quelque chose ! parce que les délais juridiques de livraison approchaient.
Et donc, lui… est parti !… Il a remmené sa fille… — et je me suis aperçu, du reste, que sa fille, ça posait de gros problèmes ! Je ne m’étais pas renseigné… non plus !… que sa fille était la… la fille d’une femme que lui, détestait ! qu’il avait des problèmes avec la pauvre… fille, là, était bien disposée ! mais elle se trouvait en face de trois rois ! à la fois, son père… son père, qui en plus est Norman Mailer !… et puis moi, le metteur en scène… ça lui faisait trop ! donc j’ai juste décrit ça dans une introduction, et puis après, j’ai rencontré un metteur en scène de théâtre américain qui s’appelle Peter Sellars, et avec qui on a travaillé ensemble pour essayer de boucler le film dans les deux mois qui nous restaient pour le… pour le livrer…
Et c’est devenu… Dès le début, j’avais toujours pensé que le seul territoire que j’aborderais ou que je commencerais à aborder, serait celui de… Cordelia et de… c’est-à-dire la plus petite partie du Roi Lear, et surtout… — c’est un texte d’un écrivain qui s’appelle Viviane Forrester, dont j’avais lu un livre sur Van Gogh, et qui a écrit un court texte qui s’appelle Le silence de Cordelia (1), — et je me suis dit : « Ça me suffit comme… disons, comme première trace sur la carte ”Shakespeare” ».
Au fond, il y avait le but d’aller vers un son que je ne comprenais pas, qui… c’était de me dire : « Peut-être que si je commence par m’approcher de ça, je pourrais peut-être un jour lire dans le texte, disons… certaines œuvres, de James Joyce, d’une autre langue que la mienne, sans renier la mienne, mais de… voir ce que des langues… ont des points communs entre elles. » C’est un documentaire, pour moi, sur une langue que je ne connais pas.
C’est comme certains… on peut avoir envie de faire un documentaire sur un aveugle, bien qu’on voie ! Là, c’était plutôt le contraire : moi, j’étais disons aveugle, et j’allais voir quelqu’un qui voyait !…
Une spectatrice : Je voudrais savoir si le fait de ne pas avoir bougé au-delà de vingt kilomètres de chez vous, vous a permis de mieux aborder… ce continent… (inaudible)…
Tourner chez soi
JLG : Si le fait de ne pas bouger à vingt kilomètres de chez moi… Bah ! c’est déjà vingt kilomètres… Si vous les faites à… pied ! même en…
Mais l’endroit où je suis, qui était à la fois un endroit familier puisque j’ai toujours vécu entre cet endroit-là et Paris… — c’est à côté de Genève — … J’ai toujours fait des allers et retours, donc… mais cet endroit-là aujourd’hui, qui est plus choisi par moi pour des tas de raisons, c’est aussi que c’est un endroit où on a facilement tout !… Dans un rayon de vingt kilomètres… Vous avez aussi bien des usines, des banques, des grandes administrations,… que… de la neige, de l’eau, des… je ne sais pas… des cochons, des chiens, des chats… un magasin de cassettes vidéo, un petit supermar… vous avez tout ! d’une manière qui n’est pas… qui est un peu ouverte…, un peu… je trouve. Donc, c’est plus facile, on a tout à la disposition… j’ai regretté d’avoir dû tourner un peu… tard, et qu’il n’y ait pas la neige, par exemple. Car je pense que… Shakespeare était… rarement… c’était une idée qui me venait peut-être de certains films d’Anthony Mann, quand il faisait ses westerns sous la neige…
Le choix des acteurs, de la musique
… Sur les acteurs aussi, ça a été… disons, dif… Aujourd’hui, par exemple, je n’aurais pas choisi… mais c’est le dernier que j’ai trouvé. Je suis allé en Amérique, j’ai vu… à un moment, j’ai failli prendre… Je regrette de ne pas y avoir pensé !… J’ai vu Tony Curtis, par exemple… Les producteurs américains voulaient absolument que je le voie. Mais quand je l’ai vu… c’est un type absolument charmant ! complètement « out » ! qui fait de la peinture… de la peinture qu’on vend à Montmartre, peut-être… Enfin… je disais que ça n’allait pas sur Le Roi Lear. En fait, j’aurais dû penser… il aurait été beaucoup mieux que moi, à ma place, car ça ne m’a pas fait très plaisir de jouer… de jouer là-dedans.
Dans une distribution d’Oscars, il y a deux ans, j’ai vu l’acteur qui faisait le… petit docteur, dans Quand la ville dort de Huston, et qui aujourd’hui a… était complètement blanc ! Il avait les cheveux tout blancs, la barbe aussi… il avait une tête… Je me suis dit : « Tiens ! si je l’avais vu, j’aurais pris celui-là, plutôt que Burgess. » Quoique Burgess… a une tradition disons… théâtrale… il a une belle voix aussi !… J’étais content d’avoir cette voix-là !
Un spectateur : …Votre démarche par rapport au son… je voudrais savoir comment vous est venue l’idée de ralentir les Quatuors de Beethoven… (inaudible)… en écoutant les mouettes… (inaudible)…
JLG : Dans la musique, effectivement, il y a certains Quatuors de Beethoven, mais il y a des tas d’autres choses aussi !… Je ne dis pas… parce que, on ne sait jamais s’il y a pas un représentant de la Sacem… [rires — inaudible]… c’est de la musique complètement inven…tée, mais re-travaillée, quelquefois simplement en ralentissant ou alors en recomposant avec des… ce qui s’appelle des sequencers… On met une mélodie qui a un certain graphisme, un truc, et puis… on peut refaire, on peut recomposer la mélodie un peu autrement… à son rythme ! Il y a un peu de tout !… Il y a aussi une musique originale d’un musicien lillois qui s’appelle Pierre Vasseur, qui elle, n’est pas trafiquée. Et puis le reste c’est de la musique classique… trafiquée, si vous voulez…
Un spectateur : Le personnage que vous interprétez dans le film a plein de câbles sur le tête. Est-ce que c’est fait pour dire que… qu’il est une machine détraquée ?
JLG : Oh ! Vous pourrez penser comme ça, si vous voulez… C’était… non, je sais pas… mais je suis pas très content. Comme je jouais aussi dans Soigne ta droite, à ce moment-là, car j’ai dû interrompre un moment, Soigne ta droite, pour pouvoir livrer celui-là et ne pas avoir d’ennuis juridiques… Donc… j’ai pas eu le temps de… j’aurais aimé trouver un autre acteur… ça aurait été mieux !… Car, là, c’est un peu… bon ! c’est pas déplaisant, mais c’est un peu… c’est un peu chargé… et en plus… je pense qu’à des moments je dis des choses intéressantes, mais qu’on ne les comprend pas bien, parce que je me suis ingénié à les déformer pour… je ne sais pas pourquoi ! mais…[rires] pour ne pas qu’elles aient l’air trop intéressantes ! mais quand même… c’était pas très bien fait…
Un spectateur : Justement ! ma question revenait un peu à ça… Je voulais vous poser la question de savoir, pour rester dans les problèmes de langage et de son, de parler un peu de… cette façon que vous avez de parler dans le film, assez déformée, justement, et puis, tous les problèmes de sons, de bruits d’animaux qu’il y a tout au long du film… si vous pouvez en dire quelques mots… qui couvrent les paroles, souvent… que ce soient les mouettes, que ce soient les cochons…
Victor Hugo, Schiller et le « cochon de payant »
JLG : J’ai toujours entendu dire… m’enfin… les premières fois que… qu’il fallait donner… enfin, c’est un peu bête ! mais… un peu… même primaire ! C’est une… c’est plutôt une « compo » disons… c’est une composition de… d’élève primaire ! ce que j’ai fait… du reste, en anglais, c’est sous-titré « A study », ce qui veut dire… oui ! une composition ! une étude !… une « compo » ! comme on dit !… je ne sais pas… comment on dit…
Et ce que j’avais lu… la manière dont Victor Hugo parlait, car si je n’ai pas lu cette pièce de Shakespeare, j’ai lu par contre des choses que des gens en disaient. J’ai lu des textes de Schiller et des textes de Victor Hugo qui présentaient quand même quelque chose comme… par rapport à eux, — ce qu’étaient Schiller ou Victor Hugo en France —,… Shakespeare, comme quelque chose de plus barbare ! de plus violent, de plus brutal, de plus primitif, en prenant ces mots dans leurs sens les plus simples !… et qu’à ce moment-là, les… oui, les animaux… tout ça… je crois que… à Paris, on n’entend pas beaucoup d’animaux, donc ça choque un peu les gens ! Le son des cochons dans la… ça, je l’ai simplement mis comme métaphore, dans la salle de cinéma, puisqu’on a toujours parlé du « cochon de payant », donc ça me semblait le son… c’est venu comme ça !… le son approprié… qui est un animal, du reste… très très gentil et très drôle à regarder…
Une spectatrice : Est-ce que la présentation au public, vous voulez qu’elle soit en version originale sous-titrée, ou les distributeurs veulent qu’elle soit… Comment elle sera ?… ou alors, même en V.F.… ?
Quelle version ?
JLG : Moi, j’ai toujours eu du mal à… si vous voulez, les films, soit ils sont… j’aime bien les versions originales, je n’aime pas les sous-titres… je trouve que c’est désagréable par rapport à l’image… même d’un film moyen. Je préfère la version originale, mais je voudrais effectivement la comprendre ! dans un film !… et je ne sais pas comment faire !… pour n’importe quel film !… Mais dans les films que je fais, j’ai toujours eu beaucoup de mal à l’étranger, lorsqu’ils sont vendus, car je ne fais pas ce qui s’appelle une « V.I. », une « version internationale », qui est maintenant la sacro-sainte ! pour vendre dans les télés… où on a d’une part, les ambiances… mais les ambiances, c’est à la fois… ces bruits de micro [il tape sur le micro] comme quand je parle, alors que moi j’enregistre, comme encore pas mal d’autres, le son en direct, et c’est pris ensemble !
Donc ensuite il faut re-fabriquer tout le son ! C’est un trop gros travail que le budget du film — car ce sont des petits films, qui ne se vendent pas très cher —, ne permet pas. Alors là j’avais envie de… c’était possible, mais les rapports de travail avec Cannon sont difficiles parce que c’est une société qui en est à… se chercher elle-même !… disons qui a des gros… des gros problèmes ! Et je leur avais proposé d’essayer… mais il faut essayer ! Je pensais que comme il y avait un commentaire, ça serait bien de ne traduire que le commentaire, en français… et peut-être de sous-titrer le reste. Car à ce moment-là on a un sentiment, disons, de… stéréo aussi, et qui correspond au son, avec quelque chose de double.
Mais en même temps, les sous-titres, au cinéma, sont tellement… pauvres ! La manière dont c’est fait ! c’est toujours en bas, comme ça… Moi, j’aimerais mieux que de temps en temps ils puissent être graphiques, comme les Russes essayaient d’en faire à des moments, dans leurs films d’autrefois, ce qui peut se faire en vidéo ou en télévision, car l’inscription du sous-titre est très facile, c’est juste un signal d’une certaine forme qu’on rajoute sur un autre.
En cinéma, où c’est chimique, ça coûte trop cher ! et même, c’est difficile, car il faudrait re-fabriquer sur un film transparent des titres avec un graphisme, même d’affiche, même qui couvre à des moments l’image, enfin, selon une grammaire à trouver… Mais à ce moment-là, elle se charge de tellement de poussière, que ça abîme l’image… Et quand on a une image qui est très claire, très propre, très nette, comme ça, c’est domma… Donc, je ne sais pas… je ne sais pas du tout, et c’est ce qui explique que…
Une spectatrice : Est-ce que les distributeurs ont une idée ?
JLG : Ah ! non alors ! Si j’en ai pas !… [rires] … Vous savez, un distributeur, quand il fait des sous-titres… Pour Soigne ta droite, que j’ai fait récemment, c’est la même chose. Il y a un commentaire, j’ai voulu ess… mais c’est pas la peine ! Eux… faire les sous-titres, ça correspond à… envoyer le film à une maison de sous-titrages et attendre qu’il revienne. C’est ça, faire des sous-titres ! Pas comme en littérature, où… enfin, pour certains livres, disons,… la traduction a une énorme importance. Là, moi je pense que le film est… surtout si on a un public, disons… relativement fidèle ! ou un public de… de club, plutôt… qu’on peut effectivement faire une version mi-doublée, mi-sous-titrée… et d’un film à l’autre, ce n’est pas la même chose… Là, j’ai toujours achoppé là-dessus, pour finalement… Je ne fais rien… Et qu’on ne sait pas si, finalement, le film sortira parce qu’on ne sait pas s’il y aura une version dite « française », et comment elle peut… Bon ! On peut vaguement sous-titrer ! Mais moi… d’abord, je ne comprends pas la moitié ! Je ne sais pas de quel… ça s’est fait avec Peter Sellars… « T’as pas un texte qui dit quelque chose comme ça, » …lui, qui connaît Shakespeare comme… comme moi les Cahiers du cinéma, disons… me donnait des textes… et je disais « Ah ! ça c’est bien ! C’est bien ! Ça va très bien !… Y a pas autre chose ?… » … Je ne sais absolument pas si ça vient d’Hamlet, de Macbeth… ou de trucs comme ça !
Une spectatrice : Vous avez déjà vu vos films français doublés en anglais ?
JLG : Mes films n’ont jamais été doublés. A l’étranger, ils sont sous-titrés en général, et ils ne passent pas devant un public assez large… La seule expérience que j’ai eue, j’ai vu une fois Le Mépris, mais le montage avait changé, la musique avait changé… et… il y avait tellement de choses de changées que…
Un spectateur : J’aimerais savoir si vous vous êtes découvert un peu à travers… (inaudible)…
JLG se découvre
JLG : Savoir quoi ?… si je me suis « découvert » ?… Dans tous mes films je me « découvre »… devant le public !… respectueusement… et je me mets à découv… du fait que je me mets à dé… je ne sais pas, mais ça doit correspondre à se mettre à découvert et à partir… à sa propre découverte !… Découvert ?… non… j’ai rien… C’est un film que je suis content d’avoir fait, parce qu’il a été fait… disons, rapidement… mais… ouais… Je ne sais pas plus…
[cassette 2]
Où faire le point ? Pour filmer quoi ?
JLG : … Peu à peu, j’ai cessé de faire des panoramiques et des mouvements,… enfin, le moins possible, car… c’était un peu… gratuit… dans des mouvements de lyrisme, peut-être, mais qui étaient plus imitateurs… qu’autre chose… et petit à petit, de repartir de… ce qui fait que… par exemple, le film… moi , je tourne tous mes films en 1/37, c’est-à-dire en… en enregistrant la surface entière du négatif. Ensuite, il est projeté comme il peut !… Ce soir, il a dû être projeté… Alors, il y a une projection où les gens sont cadrés ici, d’autres, comme ça, d’autres, comme ça… et…
Je pense qu’on suit le film de la même façon… — s’il y a quelque chose de réussi, bien sûr ! —, dans la mesure où il y a un centre… d’intérêt et que c’est ce centre… et qu’à force de faire ça… j’ai… on a beaucoup de mal à faire le point ! Car le premier problème pour moi, c’est : où faire le point ?… Et tout à coup on se dit : « Mais qu’est-ce que… ? ». Bon, alors on filme un visage… Mais un visage avec peu de lumière… N’importe qui, qui fait un peu de photographie ou qui a une petite vidéo comme Monsieur*… si on est… on sait pas… on peut être net sur le nez ou sur l’œil ! à peu de lumière… ou alors on éclaire comme à la télévision ! Ça ils n’ont pas de problèmes ! Ils ont le point partout !… ils ont le point partout parce qu’ils sont nulle part aussi ! Mais ils se disent si… quelqu’un veut être quelque part… on ne sait pas où… Tandis que… si on doit être bien précis quelque part, et c’est ça, je crois, la différence, c’est que la peinture… la peinture est toujours nette !… un flou…, un arbre flou chez Cézanne… il est parfaitement net !… ce flou est parfaitement net et n’est absolument pas senti comme flou !… Dans la photographie, un peu moins, en vidéo, complètement !
*Un « Monsieur » dans le public. Il ne s'agit pas de ma Paluche et de moi (j'étais près des orateurs).
La technique comme symptôme
Donc, le fait de dire : « Où faire le point ? » … On a… et puis surtout qu’on bouge ! Encore, en peinture, en photo, on ne bouge pas, on peut poser ! Dès que vous bougez la tête, il faut faire passer le point de là… à… là ! Et moi, j’ai beaucoup de difficultés techn… techniques à ça, mais en même temps, ça permet de faire penser à… « Que veux-je filmer ? » ou… « À travers l’endroit que je filme, ou ce lieu-là… enfin, qu’est-ce que tu veux avec ça ?… » … Et en général quand je vois les rushes, les premiers tirages, c’est… quand quelque chose ne va pas, tout de suite, c’est soit la lumière, soit le point, et maintenant je le prends comme une espèce d’indication clinique que, si le point ne va pas, c’est peut-être pas tellement que l’opérateur n’a pas réussi, ou plutôt que s’il n’a pas réussi, c’est que le dialogue était mauvais… et que ça n’avait pas à être fait comme ça… Donc, il faut recommencer et voir pourquoi. Ce sont des indications, et à ce moment-là, la technique est bien ! parce que… il y a une indic…elle ne reste que technique et elle donne une indication clinique, comme le corps vous donne une… ça, je crois que c’est une différence, où, comme tu me disais (à Serge Toubiana)… que Marguerite [Duras] s’écoute à haute voix… elle entend et puis elle dit : « Ah, ça, ça va pas ! » … Alors, elle ne va pas changer sa voix, elle va changer sa phrase…
Les Classiques et les Modernes
Un spectateur : À propos de la peinture, est-ce que vous pourriez nous parler s’il vous plait, de vos influences parmi les peintres modernes et quels sont ceux qui vous ont le plus influencé dans votre travail cinématographique.
JLG : … influencé… Je ne sais pas, ça ne se passe pas comme ça. Je connais peu, je connais que par des bouquins.
Un spectateur : Mais alors, qui connaissez-vous ?
JLG : Je ne sais pas… Le plus moderne que je connaisse… Enfin, je ne sais pas… Dites-moi des noms et puis je vous…
Un spectateur : Je ne sais pas ! Je peux dire des gens modernes comme… j’ai plus dans la tête des gens comme Duchamp, qui ont dû influencer le cinéma…
JLG : Ah ! oui, mais alors… si vous voulez, ça… J’ai même fait un film où j’en ai parlé, qui était
Grandeur et décadence…, où on demande : « Qu’est-ce que c’est que les Classiques ? » et Léaud répond — sauf qu’il joue assez mal, donc c’est… peut-être pour ça que vous ne vous en souvenez pas — il dit : « Boh ! Les Modernes, il en existe pas beaucoup ! Peut-être Rembrandt… ou Freud… à la rigueur ! »
C’est mon opinion aussi, si vous voulez. C’est que j’ai longtemps cru… j’ai été élevé… Pour moi, Gide, la première fois que je l’ai lu, — ma mère m’a offert Les Nourritures terrestres —, bon ! C’était du moderne par rapport… à La Princesse de Clèves, si vous voulez ! Aujourd’hui, j’ai plutôt tendance à voir ça plus large, maintenant que je vieillis et de voir ça comme la fin du Classique et de considérer… nous, de la Nouvelle vague… les deux ou trois, comme les derniers Classiques. Bien sûr… et puis, il y a un creux, comme ça… de considérer Dashiell Hammett comme le dernier grand écrivain classique américain, Faulkner aussi !… tout en sentant qu’il est très différent, quand même, de Walt Whitman ou de… Mais, de moins voir ce côté… alors, disons… moderne, c’est un certain aspect d’une fin des Classiques.
Un spectateur : Et la peinture…, par exemple, la peinture américaine, le Pop'art, Andy Wharhol, Rauchenberg… ça vous intéresse beaucoup, non ?
JLG : … Non… Je connais de nom, j’ai lu des revues… et puis il y a des moments où c’est… C’est comme si vous me disiez… Lénine, aussi ! je connais ! ça m’intéresse !… d’accord ! je connais !… mais je connais moins,… je lis… les Cahiers… des revues d’art… Je connais moins. Peut-être le plus moderne, qui doit être un ultra-classique pour un marchand de peinture, c’est Poliakoff, par exemple… ou quelque chose comme ça… mais que je vois au hasard ! je me dis que j’aime bien… j’aime bien ça.
Il y a des moments… au bout d’un moment, une fois qu’on connaît… on a un certain bagage et ça suffit… si c’est Poliakoff, c’est Poliakoff… J’ai Paul Klee, ça me suffit pour connaître Poliakoff… et ça n’a rien contre Poliakoff… ils se valent tous !
J’ai beaucoup de mal… mais je me dis : « Un jour, à force de bien aimer feuilleter des bouquins de Renoir ou de Daumier, — que j’aime beaucoup —, eh bien, je finirai un jour… à pouvoir accepter Cézanne », que j’ai beaucoup de mal… de prime abord… quelque chose qui ne m’est pas naturel. Je sens qu’il y a quelque chose d’immense ! Je me dis : « Bon ! J’ai encore, j’espère en tout cas, une trentaine d’années, pour l’approcher. »
Un spectateur : … Sur la peinture… De toute façon, dans chaque film, c’est d’autres tableaux, et certains reviennent… et ce qu’on remarque c’est qu’ils viennent par ce qu’il y a dans le film…
Un style de production
JLG : Non ! mais ça vient… la peinture… je suis beaucoup plus influencé par la peinture sur la manière de… peut-être de la produire ! Et toutes les questions qu’on me pose : « Êtes-vous influencé par tel livre ou par tel… » … En fait, c’est un style de production. Le reste, après, je ne sais pas.
Effectivement, petit à petit, ça prend du temps, — et on voit que trente ans sont vite passés ! Surtout dans le cinéma, on commence à l’âge adulte. Ce qu’on appelait un « jeune cinéaste »… et encore aujourd’hui, ce sont des gens de… aujourd’hui ça rajeunit un tout petit peu, mais c’est quand même des gens de vingt cinq/trente ans, alors qu’à trente ans/trente-cinq ans, on dit : « Un vieil homme d’affaires », déjà… Mais pour un cinéaste, simplement parce que ça se fait autrement… et donc, j’ai… Petit à petit, j’ai découvert qu’il fallait, — enfin, pour moi, en tout cas — qu’il fallait produire, comme produisaient — Classique ou Moderne, dans le sens… alors là… classique, si vous voulez… des Classiques et des Modernes… —, qu’il fallait produire comme un musicien, comme un peintre ou comme un romancier.
Et quand la Nouvelle vague a parlé d’auteur, ça n’était rien d’autre. C’était une époque où… Hitchcock n’était pas connu ! Certains critiques… ou…certains comme ça ! mais Hitchcock avait son nom en dessous ! Nous on a dit : « Bah ! Hitchcock c’est peut-être aussi bien que Shakespeare ou Racine ! » C’était peut-être exagéré mais c’était ça !
Pour moi en tout cas, peut-être pas pour les autres, mes anciens camarades, mais c’était : petit à petit, produire comme ça. Un romancier, comment il écrit ? Il se lève… Je ne sais pas, chacun son style !… que ça soit Henri Troyat… celui qui écrit S.A.S.… ou… Faulkner, comment ils écrivent ? Comment est-ce écrire un bouquin ? Ça prend sept ans !… Eh bien, si un film prend sept ans, il prend sept ans !… Pourquoi… ?… pourquoi… Et c’est un style de pro… Mais le fait de vouloir écrire… faire un film comme Faulkner écrit, finit par me faire lire Faulkner !…
… Donc, l’influence… elle est là…
Un spectateur : Quand vous prenez des tableaux, comme ça… là, il y a Goya, Gustave Doré, Daumier, pour des raisons… (inaudible)…
JLG : Oui… Là, c’est un peu primaire…
Un spectateur : Il y a une surprise…
JLG : Il y a une surprise ?
Un spectateur : Oui, il y a Woody Allen qui est là, d’abord, il y a la surprise pour ceux qui ne voient pas ce que Woody Allen peut avoir de proche avec vous… et deuxièmement, il raccommode les fragments de pellicule avec une épingle. On dirait que cette fois-ci, vous voulez absolument que ceux qui veulent bien le voir… dire : « Oui ! là, je travaille sur le fragment ! »… C’est ça qui me paraît important… Plus ça avance, plus c’est sur le fragment…
Le présent, le passé, le futur… en même temps
JLG : Ah ! vous le… de moi, je n’ai pas pensé ça ! Mais après, je suis tout content qu’on pense…
Moi, c’était simplement pour glorifier… disons, le travail de montage… qui me semble quelque chose d’absolument unique… et qui est la seule explication — si on peut donner une explication — que le cinéma intéresse les gens. Parce que, a priori, c’est la chose qui devrait le moins intéresser… c’est que… à un moment, — et ça ne se produit qu’à un seul endroit de la production cinématographique : pas au laboratoire, pas pendant le tournage, pas avec la caméra, pas dans les rapports avec les banques — ça se produit à un moment au montage : il y a quelque chose d’unique que connaît le moindre monteur de film… alors que les plus grands peintres et les plus grands romanciers ne l’ont pas connu… c’est que à un moment… — et que l’homme… même ! ne le connaît pas dans sa propre… dans sa vie d’être humain —, c’est qu’à un moment, il y a quelque chose… — qui est sous forme d’objet — et où il y a le début, le milieu et la fin. On ne sait pas dans quel ordre ! On va peut-être même… mais on sait que c’est là… et il n’y a que cet art-là… au sens physique… au sens physique et propre.
La mère qui enfante ne sait pas comment va mourir l’enfant qu’elle va mettre au monde. Elle connaît une partie, elle ne sait pas… Vous ne savez pas comment vont se terminer vos affaires si vous jouez à la Bourse. Vous ne savez pas, même quand commence le film, ici, comment il va finir, à moins que vous l’ayez vu !
… Au moment du montage, il y a quelque chose ! et c’est ce que relève Peter Sellars, à un moment — le commentateur du film… William Shakespeare n°5… Il dit : « Le passé, le présent, le futur… en même temps ! ». C’est quelque chose qui, je crois, est unique… qui fait que le montage est assez méprisé, sauf par certains cinéastes mais qui ont vite été mis sur la touche… glorifiés, mais mis sur la touche ! comme Eisenstein.
Quand Eisenstein parlait du Greco, il n’a jamais dit que c’était un grand peintre ! Il l’appelait « Le grand monteur de Tolède »… A priori, quand on voit un tableau du Greco, on ne penserait pas de ce point de vue-là !… Il y a quelque chose et je pense… c’est le mystère, quelque chose qui fait dans la pratique même du film qu’il y a cet objet qui fait que c’est un… un truc un peu bizarre, un peu mécanique, mais qui a beaucoup plu — tout à fait par des relais inconscients — au vaste public. Il y a tout ensemble et on le tient dans la main, physiquement !… Un architecte ne sait pas ça ! Un général ne sait pas ça ! Si les politiciens pouvaient savoir ça ! ça serait merveilleux ! Si les amoureux pouvaient savoir ça !… Il n’y a que le cinéaste !… Les trois-quarts ne savent même pas qu’ils ont ça ! Mais pourtant ils l’ont !…
[retour]
Le plaisir de tourner
Un spectateur : Je voudrais savoir si vous trouvez toujours autant de plaisir à tourner actuellement que lorsque vous avez tourné en 1960… Est-ce que vous êtes toujours aussi passionné de cinéma, parce qu’on a l’impression de voir à travers ce film, quelque chose d’assez posé et j’ai l’impression qu’on ne voit plus exactement l’énergie qu’il y avait dans vos premiers films des années 60…
JLG : Ah ! … Eh bien, j’espère que si vous voyez Soigne ta droite, ça vous détrompera là-dessus ! Celui-là est beaucoup plus posé, bien qu’il ait été fait complètement… à l’énergie aussi ! Et que j’aimerais enfin arriver à trouver un peu de… plus de plaisir dans le tournage, dans l’exécution… chose que j’ai jamais…
L’autre jour, Braunberger, dans son bouquin, m’a remontré une lettre que je lui avais écrite, qui m’a beaucoup étonnée puisqu’en 1960… dans mon premier grand film, je lui écrivais qu’il fallait pas qu’il soit jaloux du producteur qui faisait À bout de souffle, que j’en ferai un autre avec lui !… Bref !… et je lui parlais du film que j’étais en train de faire : À bout de souffle… et j’ai été étonné de me relire car je disais déjà : « Mon principal travail consiste à éloigner l’équipe technique du tournage ! »… Je ne me souvenais plus du tout que déjà il y a trente ans ! c’était mon principal travail ! ce qui effectivement est très pénible ! puisque sans eux vous ne pouvez rien faire !
Serge Toubiana : Parce que effectivement, Soigne ta droite, est un peu un contrepoint de celui-là, en terme d’ « énergie », pour reprendre le mot de Monsieur… et la façon dont tu joues dans le film est beaucoup plus… il y a une sorte de gaîté… burlesque qui n’est pas du tout dans celui-là. Est-ce que ça fonctionne comme réaction ou pas du tout ? … Truffaut fonctionnait un peu comme ça, sur deux régimes : un régime pour soi, un régime pour les autres… toi, pas du tout…
JLG : Non ! Il y a un film à faire et il faut qu’il se fasse, c’est tout. Ensuite, c’est plus du domaine… de la guerre, mais les films sont plus intéressants à faire que les guerres !… de la navigation… du match !… il faut qu’il se fasse !… qu’on perde pas l’idée… ça devrait… Je suis étonné comment c’est plus difficile de… et j’ai toujours eu un sentiment de nostalgie, mais par rapport à une époque que je n’ai jamais connue, car pour moi… je me disais : « Mais quand même… ». Et c’est des questions peut-être de caractère : j’ai vu une fois tourner Renoir, c’était… c’est un enchantement ! Mais quand on en parle à Braunberger ou à certains acteurs, c’était… beaucoup plus pénible ! Sauf qu’il avait une manière de faire, que personne ne sentait cette… ce côté pénible.
…Je souhaiterais que ça se passe… effectivement…mieux ! J’ai souvent admiré les… mais je me demande si ça se passe si bien en musique que ça !… Peut-être…
J’aime beaucoup le sport, certains sports d’équipe. Car, quand il y a des beaux mouvements, je me dis : « Mais je n’ai jamais réussi à tourner des plans comme ça! » où on sent un plaisir… un plaisir physique, comme ça… qu’on retrouve au montage, d’une certaine manière… que j’ai un peu trop privilégié parce que là, on domine, au moins la !… On dit : « Bon, je n’ai que ça, mais au moins, là, je suis tranquille !… » D'ailleurs, du reste, Woody Allen, je lui demandais s’il aimait bien le montage, il me dit : « Oui, parce qu’il fait chaud dans les salles de montage ! »…
Sophie, moi et George
Un spectateur : … en l’absence de générique et vu le travail qui a été fait sur la photographie, qui est quand même exceptionnelle, j’aurais voulu savoir quel était le nom du chef-opérateur, et la pellicule que vous utilisez…
JLG : Je suis un fidèle de Kodak, et je le resterai… tant qu’il essaye pas trop de copier Fuji… je suis un fidèle de Kodak [JLG baille]… je trouve la 47, qui est cette pellicule-là, absolument magnifique, comme était la XX autrefois.
Ce sont des pellicules, disons, moyennes et que j’emploie dans des conditions où les… — ce que j’ai toujours fait… aussi bien avec les acteurs, qu’avec les… que même les auteurs de théâtre célèbres ou des choses comme ça, dans des conditions où ils ne sont pas habitués à travailler… en particulier la pellicule : ce qui m’intéresse — il y a des photographes ici — … ce qui s’appelle le bas de courbe, c’est-à-dire à l’endroit où on travaille à faible sensibilité et où elle est le plus rapide, mais dans certaines conditions… mais c’est le plus risqué aussi, et il ne faut pas se tromper. Car effectivement, les trois-quarts des opérateurs, — je ne parle même pas de la télé —, ce qui les intéresse, c’est de dire : « Bon… on met beaucoup de lumière… on ferme un peu, et puis on peut faire ce qu’on veut après… » Mais qu’est-ce qu’on veut ?… Je ne sais pas !… Donc, je trouve les conditions réelles d’existence sont suffisamment bien. Donc, là, c’est de la Kodak… et… la Kodak a été inventée par George Eastman, donc maintenant je mets au générique, quand j’en fais un… George Eastman… ensuite… je mets moi, si je ne me suis pas mis ailleurs, et puis je mets ensuite l’opérateur ou l’opératrice : là, c’était Sophie Maintigneux, qui avait fait des films d’Éric Rohmer, avant. Donc, moi je dis : « La photo était faite par Sophie, moi et George. ». George Eastman, dans l’ordre !… chacun met son ordre ! mais c’est ça qui est vrai !…
Générique et dollars
… Et par rapport au générique, là aussi, s’il n’y avait pas de nom au générique, c’est simplement que, par contrat, avec les acteurs, comme ils avaient Woody Allen, Molly Ringwald… ils avaient demandé à ce que leur contrat… c’est assez bizarre, parce que les gens de Cannon voulaient des noms, alors je leur ai dit : « Bon ! Vous aurez Norman Mailer, Woody Allen, Molly Ringwald » — qui est une jeune star aux États-Unis de ce qu’on appelle les Teen Age films, et eux, ils étaient contents parce que ça leur faisait des noms, mais en même temps ils ont signé des contrats où il y avait marqué que puisqu’ils tournaient à faible prix pour moi, eh bien, en échange, on ne mettait pas leur nom !…
Un spectateur : Tout à l’heure, vous avez dit qu’un film c’est quand même mieux que la guerre… vous avez dit quelque chose d’analogue sur Détective… en parlant des acteurs. Je voudrais savoir si c’est un problème que vous aviez rencontré uniquement sur Détective ou sur beaucoup de vos films… Et ensuite, comment est venu la …(inaudible) … avec Woody Allen, comment vous y avez pensé ? Et comment ça c’est passé ?
Woody Allen
JLG : Ça s’est fait… ça c’est fait comme ça !… Moi, j’y avais toujours pensé à… Je lui ai demandé une fois, il a accepté. Il m’a dit : « Pour vous et pour Bergman, j’accepte. »
Il a donné un jour. Dix mille dollars : en échange, on ne met pas son nom… et il est venu à l’heure ! très régulier ! absolument parfait, comme les Américains. Et moi, je croyais qu’on avait jusqu’à dix heures du soir, et lui avait compris jusqu’à cinq heures… Je pense qu’on s’est mal compris. Et quand il est parti, je lui ai dit : « Ah, bon, on n’aura pas le temps de finir ! Comment on va faire ? … Peut-être je vais essayer — c’est moi qui parle — peut-être je vais essayer de supprimer quelques plans… » Et il m’a dit : « Oh ! Yes ! It would be nice if you can cut a few things ! » Et il est parti à cinq heures ! Tout à fait correct !…
[cassette 3]
La distribution
JLG : … J’ai pas envie vraiment d’en faire une version française, je souhaite que… ça serait souhaitable ! Et qu’il faut tenir compte, quand même, même s’il y a un petit public… des normes et des us et coutumes.
Mais ceci dit, effectivement, si je le voyais… ou si j’étais distributeur ou producteur de films et que j’avais le temps de pouvoir… Car aussi, c’est le temps qui manque ! car… deux fois deux cent cinquante personnes comme ça… on le fait cent fois… cent fois deux cent cinquante à vingt francs, ça fait combien ?… Si on le fait dans plusieurs… Enfin, je ne sais pas ! On regarde ! On fait une vente à la Télé. La Télé, par exemple, qui va être en stéréo l’année prochaine… Là ! On peut faire un commentaire ! et la Télé est habituée aux voice over ! Elle est habituée à un commentaire qui guide ! Les gens ne le sentent pas, comme ils le sentiraient…
Donc, il y a tout un truc. À ce moment-là, je dirais…
Bon, pour le cinéma, effectivement, il doit être projeté dans les écoles ! et dans les classes d’anglais !… dans les classes d’anglais pour enfants de onze ans !… onze/douze ans ! qui baragouinent comme moi l’anglais !… Elles vont bien voir Planchon jouer Molière ! Là, elles iront voir Untel jouer Shakespeare !…
Un programme pour un film muet, sonore
Un spectateur : Vous avez filmé autre chose !… des visages ! c’est ça qui est magnifique !…
JLG : Oui, mais pour vous dire, si vous voulez… Pour moi, c’est un film muet ! sonore ! et dont on suit parfaitement bien l’histoire ! dont on comprend tout sans rien avoir… qu’on comprend plus dans la manière… quand je dis « film muet », on comprend plus… et ça, j’y reviens à ça ! forcément !… chacun fait comme il peut, mais… On revient à une compréhension du cinéma de l’époque muette ! Je pense qu’il reviendra…
… Alors, ça se fait, soit avec beaucoup de paroles ou beaucoup de sons, mais qui finit par faire… mais on comprend très bien ! On voit que… Et puis, les gens connaissent !…
… Alors, après, ce qu’il faut c’est, par exemple, arriver — ce qui est regrettable, même pour une séance comme ça, … j’ai la flemme de le faire ! — à la fois je m’en excuse et pas vraiment ! — mais c’est de faire un programme !… qui est bien fait ! qui est très bien fait, bien illustré !… De même… On le fait au théâtre !… Le théâtre marche parfaitement ! On le fait en musique ! Il y a ceux qui connaissent les partitions ! Il y a ceux qui la suivent ! Il y a ceux qui ne connaissent pas !… et il y a toute une façon de faire… Quand on dit que les exploitants devraient mieux faire leur travail, on n’imagine pas du tout ce qu’il y a à faire ! L’exploitant, tout seul, ne peut pas avoir ces idées-là ! Elles doivent lui être fournies par le promoteur ou le producteur ou le réalisateur ! Mais c’est aussi une question de temps ! de gagner sa vie ! on n’a pas le temps !… Mais je suis d’accord que là, bon ! C’est un film… très très clair ! Du reste, il y a un scénario, il y a une histoire, on comprend vaguement… ce qu’on ne comprend pas… !… Je veux dire… quand on voit un arbre, je ne vois pas ce qu’il y a à comprendre !
Un spectateur : Non, mais c’est pas important ! Ce qui est beau dans le film, c’est plus loin…
Approcher et désirer recevoir
JLG : … C’est plus loin… Mais je trouve qu’il est parfaitement suivable ! enfin… relativement compréhensible… Mais aujourd’hui plus difficilement qu’avant. Je pense que c’est un film du temps du Muet… qui aurait beaucoup moins surpris ! Mais les gens, avec la Télé ! le discours de la Télé ! des journaux !… aujourd’hui, c’est vrai, suivent beaucoup moins bien !…
Et vous allez voir même un film sûrement très beau, mais que j’ai pas vu, mais j’imagine un peu ce que ça peut être : le film de Souleyman Cissé… Bah, on dit : « Ooh ! au bout d’un moment, on n’y comprend… on ne comprend pas bien toutes ces légendes ! » … Mais, bien sûr ! on ne peut pas comprendre l’Afrique en une heure et demie !… mais on peut l’approcher !… ou désirer en recevoir ! C’est tout !
C’était le but de ça : approcher et désirer recevoir ! … et entendre des sons d’une langue qui n’est pas la mienne mais qui dit la même chose que la mienne, d’une autre manière… s’approcher et recevoir ! et puis redonner… Ensuite… chacun… s’y reconnaît ! … Si le travail est bien fait, qu’il y a une bonne opératrice, de la bonne pellicule, un vrai désir… ça suffit pour le film !… enfin… il faudrait beaucoup plus ! mais c’est très dur d’avoir déjà ça ! Il faut une énergie… énorme !… Il faut un désir effectivement de filmer qui est quelque chose… qui est assez étrange…
Parce que… la caméra fait tout !… Alors, en cinéma, comme elle tourne, qu’elle fait un petit ron-ron, qu’on sait que c’est des petites griffes qui tournent… On sent qu’il y a un travail qui se fait encore, je crois que c’est là aussi… On sent qu’il y a un travail qui a été inventé par les hommes à un moment donné pour enregistrer…
… De même le peintre ! il sait… quand on voit la vieille main d’Auguste Renoir, on sait qu’on ne peint pas une épaule avec une main comme ça, qui fait que… la Télé… comme on ne voit pas ce qui se fait… même la machine, je crois, ne sait pas très bien… La caméra, on pense que si elle a… elle pourrait savoir ce qu’elle fait comme ça… donc, il y a un sentiment d’effort.
Donc, ensuite… si on est sincère, et parmi les gens de cinéma qui le sont, il y en a encore beaucoup… donc, on sent que nous, on n’a pas à faire ça ! On n’a pas à faire de travail-caméra ! Mais il faut faire quelque chose d’équivalent qui correspond à ça !… à ce ronronnement… à ce chuchotement… à ce moment-là… Le film est bien !… Le film est bien !… Si vous avez dit : « C’est un roi qui est amoureux de sa fille… », ça, ça n’a aucune valeur !… Si… si vous approchez… et que vous voyez une personne qui vous fait penser à un r… bon ! ça, ça va !
Le personnage va naître
Un spectateur : Je voulais vous demander, justement, par rapport à ça, ce que vous avez pensé du film de Wim Wenders, Les ailes du désir. Justement, j’ai l’impression qu’il essaie quand même de… faire ce travail-là … justement le vôtre… c’est-à-dire de voir comment les choses sont… en même temps, il crée des personnages ; enfin, il crée des personnages… il y a des personnages qui existent…
JLG : Mais si vous voulez, le personnage… c’est quelque chose… Là, il y avait peut-être aussi, inconsciemment… maintenant je le vois comme ça… On m’a toujours parlé des personnages ! Je n’ai jamais su ce que c’était, et ma grande dispute avec les acteurs… enfin… ou souvent… assez dure !… c’est que… eux… ils arrivent et ils savent ce que c’est qu’un personnage. Ils disent : « Quel personnage je vais jouer ? » Ils ne vous disent même pas : « Est-ce que je vais jouer le dentiste ? », ils vous disent : « Quel personnage ? » et c’est moi qui doit leur dire : « C’est le dentiste ». Mais le personnage… Moi, ce que je reprocherais au film de Wenders, c’est qu’il sait ce que c’est qu’un personnage, d’une certaine manière… et qu’il le dirige ! … Tous les romanciers vous le diront — à leur manière — que ce soit Julien Green ou Faulkner !, c’est que… tout à coup… le personnage, c’est lui qui dirige tout !… Et puis il y a des moments… vous, vous devez quand même écrire… le personnage, c’est comme le criminel dans… l’écrivain, il est le juge d’instruction !… il doit retrouver… ou il est Sherlock Holmes… Sherlock Holmes ne sait pas ce que va faire Moriarty ! il a juste un petit bout de cigarette, un petit truc, et… j’ai toujours été étonné… Et les grands acteurs… vous pouvez le voir récemment dans… puisque… Benoît Jacquot… Je l’ai vu à la télévision, vous l’avez peut-être vu… où il y a eu un texte de Jouvet, qui est un texte, alors ! ultra classique !… Hélas le film n’était pas… mais Jouvet disait : « Surtout ne jou… ». Les trois-quarts des acteurs aujourd’hui, et beaucoup plus qu’autrefois… se protègent derrière un personnage… et en fait, ils ne jouent que eux-mêmes sous un autre costume… Alors… qu’ils jouent eux-mêmes !… eux, sont plus intéressants… Moi, j’ai pris comme parti un peu bête, systématiquement, et comme à chaque film on change d’acteur, donc c’est varié, de dire : « Bon ! le personnage, j’en sais rien ! mais lui, il est là… il a des cheveux blonds ? il a des cheveux blonds !… donc, mon dialogue, ça va être : “Tes cheveux blonds sont bien, tes cheveux blonds sont moches” » …Mais, c’est pas… le personnage va naître !
Alors, bien sûr !… les parents disent : « Mon fils sera général ! »… mais… encore faut-il le faire ! Et, si vous voulez, il y a quelque chose… Récemment j’ai vu un film de Cimino, qui s’appelait… Parade du dragon… L’année du dragon !, et… à un moment, ça m’a dégoûté — d’un point de vue, disons, esthétique ou moral d’auteur — car il avait un personnage qui était — je ne sais s’il y en a qui ont vu le film — qui était le personnage de la femme de Mickey ?… Mickey Rourke… et à un moment… elle l’emmerde ! Ce personnage l’emmerde ! et il la tue !… mais, c’est… Nuremberg ! si vous voulez… c’est complètement abject !
Eh bien, oui ! un personnage… comment il peut se défendre ?… Si ! c’est à soi à le défendre ! Et pour ça il faut aller le trouver !
Les acteurs ont leurs problèmes. Je crois qu’ils aiment bien le théâtre parce qu’ils sont sécurisés, et ils ne vous disent pas ça du personnage, — quel personnage ils vont jouer —, ils le savent tout de suite, et ils vont être Grouchenka, ils vont être Ivan Karamazov ! Et ils ont quatre mois de répétitions !
Au cinéma, ils ne vous laissent pas quatre mois de répétitions ! Les plus grandes vedettes, ou alors ils vous demandent d’être payés au même prix, ce qui n’est pas possible. Il y a quelque chose qui a changé là-dessus… Il y a quelque chose qui a changé… et là tout le monde, chacun porte sa responsabilité… chacun, là où il est. Mais je crois, le personnage est… Là, ça m’intéressait… c’était d’aller… d’aborder un rivage ! … mais d’aborder des personnages !… Alors, effectivement, je suis modeste, — on me dit que je suis prétentieux ! que j’ai pas lu le livre, mais c’était la moindre des choses ! —, j’en ai pris deux !… j’ai pris celles qui parlent le moins !…
Le directeur du club : Bon, je crois qu’il faut… merci !
JLG : Je vous remercie beaucoup de vous être dérangés…
(1) Les premières lignes du texte cité sous le titre Le silence de Cordelia par JLG :
Viviane Forrester, « Le ”rien” de Cordelia », in La violence du calme, Seuil, 1980, réed. Coll. Points-Seuil, 1984,
Un silence violent.
Celui de Cordelia.
À la question, du roi, du père, à la question de Lear, elle répond “Nothing”, Rien.
Il lui demande l'essentiel. Comment il est aimé. Désiré. D'où il est désiré. Ce qui le légitime. Il a le pouvoir. Il est roi. Il veut être voulu. Qui le désire ? Rien. Pas une volonté. Pas une intelligence. Il n'y a pas d'éros. Mais tout de même ? Un corps ? Un morceau de corps ?
Il ne demande plus du son, ni du sens, ni même de l'émotion. Il demande de la chose, de l'objet. Il demande à voir. À voir l'objet du discours, le corps du désir. Dans le désir du corps. Non plus sur quoi régner. Régner ? Facile pour un homme, pour un père. Il est roi. “Each inch a king” : “chaque centimètre un roi” criera-t-il, même fou dans la tempête. Mais “the king is a thing” a dit Hamlet. “Le roi est une chose.” Alors, de la chose, non plus sur quoi régner, disions-nous, mais sur quoi désirer, d'où être désiré. D'où être né, en somme. Et non plus être chose. Et que ce lieu initial soit celui du désir, du désir échangé. D'un sens. Du sens. Et du retour. Mais d'un retour conscient, désiré des deux parts. Donc, un sexe nostalgique et qui accueille au lieu d'expulser, mais en se souvenant. Et cette fois-ci, le voir.
Or, pour Lear, entendre, c'est voir. À Gloucester aveugle, il dira, plus tard, dans l'ouragan : “a man may see how this world goes with no eyes. Look with thine ears.” “Un homme peut voir comment va le monde sans le secours des yeux. Regarde avec tes oreilles.” C'est ce qu'il tente de faire, ce roi qui s'appelle Lear (ear = oreille). En écoutant ses filles, il espère voir leur corps entier à travers leurs voix. Voir l'objet, le sujet du discours, un discours sur l'amour. Sur l'amour du roi, qu'il est encore alors. Le sujet du désir. Chaque centimètre du roi.
(p.68-69, coll. Points)
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