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Décision et création : le temps de l'expérience [contexte]
Henri Maldiney, Aîtres de la langue et demeures de la pensée, chapitre I « Genèse du temps. Les noms du temps et les dimensions du verbe », éditions L’Âge d’homme, 1975, p. 16-17. Réédité aux Éditions du cerf (2012).
« Pas plus en effet que de dire “je veux qu’il s’en
aille” n’est vouloir, dire “je décide de partir” ne
décide du départ. Ce n’est qu’une déclaration
d’intention, proche d’un énoncé performatif, et qui
clôt la délibération sans ouvrir l’acte. Le moi qui
décide vraiment franchit une coupure temporelle qu'il a lui-même
effectuée. Cette coupure est le maintenant. Moment strictement humain,
le maintenant sépare le passé et le futur qu'il maintient en l'état, immobilisés dans leurs parenthèses. À demeurer dans le négatif du présent-limite, simple lieu de passage entre avenir et passé, il rompt la continuité du flux temporel et de cette limite fait une faille. Peu en importe le contenu : que le moi y délibère, s’y
ennuie ou s’y angoisse, tout cycle de raison ou d’épreuves
y est indéfiniment réversible. Dans la délibération
l’idéalité des motifs, dans l’ennui le vide indéterminé, dans l’angoisse le vertige conviennent tous en ceci : qu’il
n’y a rien. […] Leur maintenant est bien celui d’une mise
en demeure. Mais dans cette demeure il n’y a pas où être.
Or c’est de ce rien, sans nul appui sur le réel passé ni
sur le futur possible, qu’ouvrant le transpossible la décision supprime la faille. Non en la colmatant bord à bord mais par un saut qui la surplombe et qui sitôt déclenché est irréversible. Au présent-limite que fondait le temps, elle substitue un présent-origine fondateur du temps. Elle-même irréversible, elle ouvre un double horizon d’antériorité et de postériorité où le passé et l’avenir ont leur arché dans cette présence originaire (ur-sprüngliche). La décision est chronothétique. »
Erwin Panofsky, Essais d'iconologie, cité par Henri Maldiney, Aîtres de la langue et demeures de la pensée, chapitre I « Genèse du temps. Les noms du temps et les dimensions du verbe », éditions L’Âge d’homme, 1975, p. 22. Réédité aux Éditions du cerf (2012).
« Il y a […] la représentation du temps comme kairos, c'est-à-dire cet instant décisif qui marque un tournant dans la vie des êtres humains ou l'évolution de l'Univers. Ce concept était illustré par la figure qu'on connaît sous le nom d'opportunité : un homme (nu à l'origine) qui passe à la hâte, jeune d'ordinaire et jamais très âgé bien que le temps soit souvent appelé πολιος (polios, aux cheveux gris) dans la poésie grecque…
D'autre part, l'idée diamétralement opposée à celle
de kairos est représentée dans l'art antique : c'est
le concept iranien du Temps comme Aion, c'est-à-dire comme principe créateur éternel et inépuisable. »
Henri Maldiney, Aîtres de la langue et demeures de la pensée, chapitre I « Genèse du temps. Les noms du temps et les dimensions du verbe », éditions L’Âge d’homme, 1975, p. 22. Réédité aux Éditions du cerf (2012).
« Aiôn-Phanès signifie la création comme auto-genèse de la vie universelle (vie-mort-renaissance) que depuis le néolithique symbolise la spirale — associée comme ici dans un décor des Cyclades à l'énergie solaire et au cycle. La décision qui surgit avec le kairos agit dans l'instant qu'elle érige en présent. Or les deux, création et décision, sont originaires. Émergence absolue. L'une émerge du chaos qui est béance. L'autre émerge du flux des phénomènes qui est indifférence. Ce sont deux moments cosmogéniques. Personne ne les a exprimés d'aussi près que l'artiste qui a été le plus hanté dans son art par le problème de la création Paul Klee, pour qui l'œuvre est essentiellement genèse. »
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