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Le signe, Sémiotique/Sémiologie : Peirce/saussure
1« SÉMIOTIQUE » in Dictionnaire théorique et critique du cinéma
par Jacques Aumont et Michel Marie, Nathan, 2001.
Si le suisse francophone Ferdinand de Saussure définit le programme de la sémiologie, c'est
le logicien américain Charles S. Peirce qui a proposé celui de la sémiotique dont
le projet est très parallèle.
Peirce entend étudier tous les systèmes de
signes créés par l'homme, indépendamment
du modèle linguistique. « Sémiologie » a donc désigné plutôt les recherches francophones à partir
de Roland Barthes, et « Sémiotique » les recherches anglophones et celles qui ont été influencées par
ce courant. Ainsi Peter Wollen [1968] oppose-t-il aux conceptions
de Saussure et de Christian Metz, qui lui semblent exagérer
l'importance du verbal dans le filmique, le modèle
de Peirce ; il met ainsi l'accent, d'une part sur l'importance
des aspects indiciel et iconique dans le film, d'autre part
sur la possibilité d'une véritable « dimension
conceptuelle » du cinéma utilisant la rhétorique
et toutes les formes du symbolisme.
De façon plus générale, la
sémiotique a fini par englober la sémiologie au moment où celle-ci s'est intéressée
aux rapports qu'entretiennent les signes et les symboles
avec l'inconscient et la production littéraire puis
artistique au sens large.
2« SÉMIOLOGIE », in Dictionnaire théorique et critique du cinéma par Jacques Aumont et Michel Marie, Armand Colin, 3e éd. 2016, p. 247.
« Étymologiquement, la sémiologie est la science des signes. Le premier usage du terme est médical : la “séméiologie” est l’étude des symptômes en tant que signes extérieurs des maladies. C’est le linguiste Saussure qui a envisagé (1913) la constitution d’une “science des signes au sein de la vie sociale” dont le domaine excéderait celui de la linguistique. Le terme fut repris au début des années 1960 (Barthes, 1964) : toute culture tombe sous le coup d’une science des significations ; les objets les plus utilitaires en apparence — la nourriture, le vêtement, le logement — et à plus forte raison ceux qui ont le langage comme support, comme la litttérature, les récits de presse, la publicité, etc. appellent une analyse sémiologique. La question fut presque aussitôt transposée au cinéma, en tant que production culturelle et production de signes (Metz, 1964). Les recherches en sémiologie du cinéma se développent en plusieurs moments. Le premier est marqué par l’influence de la linguistique structurale et de Hjelmslev. Peu après, elle connaît l’influence de la psychanalyse freudienne relue à travers l’interprétation lacanienne, qui pose que “l’inconscient est structuré comme un langage”. De la première sémiologie sont issues la narratologie du cinéma et l’analyse structurale du film. La seconde sémiologie, linguistico-psychanalytique, a engendré l’analyse textuelle et les recherches sur l’énonciation au cinéma, par le biais des réflexions sur l’identification du spectateur au dispositif. »
3Gilles Deleuze, « Récapitulation des images et des signes », Cinéma 2, L’Image-temps, Minuit, 1985.
« Au lieu de demander : en quoi le cinéma est-il une langue (la fameuse langue universelle de l’humanité) ?, il (Christian Metz) pose la question “à quelles conditions le cinéma doit-il être considéré comme un langage ?”
Et sa réponse est double, puisqu’elle invoque d’abord un fait, puis une approximation. Le fait historique, c’est que le cinéma s’est constitué comme tel en devenant narratif, en présentant une histoire, et en repoussant ses autres directions possibles. L’approximation qui s’en suit, c’est que, dès lors, les suites d’images et même chaque image, un seul plan, sont assimilés à des propositions ou plutôt à des énoncés oraux : le plan sera considéré comme le plus petit énoncé narratif. Metz insiste lui-même sur le caractère hypothétique de cette assimilation. » (p.38)
« Aux images et aux signes on a substitué le couple des énoncés et de la « grande syntagmatique », au point que la notion même de signe tend à disparaître de cette sémiologie. Il disparaît évidemment au profit du signifiant. Le film se présente comme un texte, avec une distinction comparable à celle de Julia Kristeva, entre un ‘phénotexte’ des énoncés apparents et un ‘génotexte’ des syntagmes et paradigmes, structurants, constitutifs ou productifs. » (p.39)
« La source de la difficulté, c’est l’assimilation de l’image cinématographique à un énoncé. Cet énoncé narratif, dès lors, opère nécessairement par ressemblance ou analogie, et pour autant qu’il procède avec des signes, ce sont des signes ‘analogiques’. La sémiologie a donc besoin d’une double transformation : d’une part la réduction de l’image à un signe analogique appartenant à un énoncé, d’autre part la codification de ces signes pour découvrir la structure langagière (non-analogique) sous-jacente à ces énoncés. Tout se passera entre l’énoncé par analogie, et la structure ‘digitale’ ou digitalisée de l’énoncé. » (p.40-41)
4Gérard Deledalle, Lire Peirce aujourd'hui, Bruxelles, Deboeck-Westmael, 1990, p.111-112.
« A l'inverse de celle de Saussure, la théorie
des signes de Peirce est plurielle
et engagée (avec ou sans signification politique
selon que son lieu d'application est ou n'est pas politique).
Cette conception plurielle et engagée du signe tient
à la nature même du signe dans la sémiotique
peircienne. Le signe est une relation triadique.
La triadicité peircienne du signe a une double origine,
mathématique et kantienne.
Mathématique :“Il est impossible de former un trois authentique sans introduire
quelque chose d'une nature différente de l'unité et de la paire”. Ainsi “le fait que A offre à B un cadeau C est une relation triple et en tant que telle il n'est pas possible de la ramener à une combinaison de relations doubles”. En fait, l'idée même d'une combinaison implique celle de tiercéité, car une combinaison est quelque chose qui est ce qu'il est par les parties qu'il met en relation. […]
Kantienne : l'intention déclarée de Peirce en 1867, quand il propose une nouvelle liste de catégories, est de “réduire le divers des impressions sensorielles à l'unité” — ce qui ne peut se faire que par le moyen des catégories (1.545). Mais la synthèse ne pouvait pas, pour Peirce, se faire, comme elle se faisait pour Kant, dans l'intuition, pour la raison que Peirce avait fait justice de l'intuition et de tout le psychologisme comme il apparaîtra dans les articles anticartésiens de 1868. Pour Peirce, “l'unité à laquelle l'entendement réduit les impressions est l'unité de la proposition (1.548). Or la logique des relations permet de distinguer dans la proposition : une fonction propositionnelle, première, autrement dit, une relation sans que soient indiqués les objets ou termes en relation (— aime —), une proposition simple, seconde, qui indique qu'une relation existe pour des objets ou termes que Peirce appelle indices (Ezéchiel aime Houlda) et une proposition complexe troisième, qui met en relation (conjonctive, disjonctive, implicative ou autre) des propositions. D'où les trois catégories logico-phanéroscopiques : la priméité, catégorie de la qualité qui a la généralité du possible, la secondéité, catégorie de l'existence, de l'action jouée dans sa singularité unique ici et maintent, la tiercéité, catégorie de la pensée médiatrice, de la généralité instrumentale. »
Que la théorie saussurienne soit dyadique est un fait. Toutes les analyses de Saussure sont dichotomiques :signifiant/signifié, langue/parole, synchronie/diachronie, etc. Faut-il y voir la marque du “tempérament dichotomique” de Saussure, comme le suggère Marcel Cohen, que ce dichotomisme n'est “nullement nécessaire à l'étude de la linguistique”. C'est en fait parce que la sémiologie saussurienne est associationniste qu'elle est dualiste— comme toute la philosophie occidentale depuis Platon, y compris
le cartésianisme que l'associationnisme prolonge. Alors que, pour Peirce la sémiotique est un autre nom de la logique: “la doctrine quasi nécessaire ou formelle des
signes” [2.227], pour Saussure, la sémiologie fait “partie de la psychologie sociale et par conséquent de la psychologie générale” [Cours, 33]. Disons cependant, pour éviter tout malentendu, que ce qui est en question ici est la place que la théorie des signes occupe parmi les autres “sciences”.
5Gilles
Deleuze, “La crise de l'image-action”,
Cinéma 1, L'image-mouvement, Minuit, 1983, p.267.
… car la relation est
toujours tierce, étant nécessairement extérieure
à ses termes. Et la tradition philosophique distingue deux espèces de relations,
relations naturelles et relations abstraites, la signification étant plutôt du côté des premières,
et la loi, ou le sens, plutôt
du côté des secondes. Par les premières,
on passe naturellement et facilement d'une image à une autre : par exemple d'un portrait à son modèle, puis aux circonstances
dans lesquelles le portrait fut fait, puis à l'endroit
où le modèle est maintenant, etc. Il y a donc
formation d'une suite ou série habituelle d'images, qui n'est pas illimitée toutefois,
car les relations naturelles épuisent assez vite
leur effet. La seconde espèce de relations, la relation
abstraite, désigne au contraire une circonstance
par laquelle on compare deux images
qui ne sont pas unies naturellement dans l'esprit (ainsi, deux figures très différentes, mais
qui ont pour circonstance commune d'être des sections
coniques). Il y a là constitution d'un tout,
non plus formation d'une série.
6Gérard Deledalle,« Avertissement aux lecteurs de Peirce », Langages, n° 58, 1980, p. 25-27. [Téléchargement]
La théorie du signe de Charles S. Peirce n’est pas une théorie parmi d’autres, dont l’intérêt résiderait en ce qu’elle propose de nouveaux concepts qu’il suffirait d’ajouter aux concepts existants pour produire une théorie complète et parfaite du signe. Il faut savoir d’entrée de jeu que les néologismes de Peirce : « representamen », « interprétant », « icône », « rhème », pour ne citer que ceux dont la sémiotique française fait parfois usage, ne sont substituables ni à « signifiant », ni à « signifié », ni à « image », ni à « concept ».
Tout système, qu’on le veuille ou non, repose sur une philosophie, sur des présupposés philosophiques, sur une conception du monde et de la place de l’homme dans ce monde, qu’il vaut mieux ne pas ignorer.
« Ceux qui négligent la philosophie, dit Peirce, ont des théories métaphysiques tout autant que les autres — seulement elles sont frustres, fausses et verbeuses » (Collected Papers, 7579).
La théorie peircéenne du signe est triadique. Cela ne veut pas simplement dire qu’elle ajoute une dimension à la théorie de SAUSSURE qui ne semble connaître que le signifiant et le signifié. On retrouverait sans difficulté la troisième dimension dans le référent saussurien et il ne serait pas impossible d’exclure l’objet (de référence) de la triade peircéenne, comme l’a fait un commentateur de Peirce.
La question n’est pas là, mais dans l’acceptation ou non du principe de base de la sémiotique peircéenne, le principe de continuité — principe que l’on considérera, si l’on veut, comme une simple hypothèse de travail, mais qui est pour Peirce un principe métaphysique et, si le mot ne fait pas peur, même sous la plume d’un pragmatiste qui passe, pour certains, pour être empiriste, un principe transcendantal immanent.
Le principe de continuité interdit que l’on fasse des distinctions logiques introduites par l’homme pour la commodité de la communication, des clivages dans le monde des choses.
Il n’y a qu’un monde dont l’homme fait partie et dont il ne se distingue que par abstraction. Pas de gratuité ni même d’arbitrarité de l’abstraction cependant, même si la place de l’homme dans le monde ne correspond pas à un clivage préétabli dans les choses.
Toute abstraction est le résultat de distinctions réelles nées de discontinuités que la croissance, la transformation, l’en-devenir du monde inscrit dans les choses en même temps qu’il les efface.
L’homme est l’instrument et le maître d’œuvre de cet effacement qui est « reconstruction continue de l’expérience », pour reprendre une formule de John Dewey.
Il n’y a signe que lorsque surgit la discontinuité qui fait signe. La continuité ne fait jamais signe : elle est transparente.
D’où une première distinction et une première définition : le signe est representamen et non représentation. Il est là opaque, pour lui-même, non comme image d’un autre dont il serait le signe. Le representamen n’est pas représentation. Il n’est pas de l’ordre de la connaissance sensorielle. Il n’est même pas signe encore : il est là comme obstacle à contourner, comme discontinuité à franchir, comme question à résoudre.
Il ne devient signe que situé dans la continuité qu’il dérange, quand il est interprété par un autre signe : l’interprétant.
Tout peut être signe interprétant mais seul le contexte l’appelle à l’existence — existence aussi éphémère ou éternelle que la désignation par l’interprétant de l’objet du signe, autrement dit, de ce qui fait obstacle à la désignation.
L’interprétant n’est pas l’homme ou l’esprit qui interprète. Il est un signe. Certes l’interprétant ne peut être un signe isolé, encore qu’on puisse le concevoir possiblement tel.
L’interprétant est le signe élu dans un champ de signes interprétants dont l’étendue est indéfinie et dans lequel on pourra à loisir distinguer le champ culturel (linguistique, esthétique, idéologique, etc.) auquel je participe et le champ que je dessine comme être spatio-temporel (de cet espace et de ce temps) et qui me fait croire que j’échappe au signe, alors que je suis lieu du signe et signe moi-même.
Quel objet le signe interprétant désigne-t-il à l’attention du signe representamen ? Un objet dans sa transparente nudité de non-signe ?
L’objet, s’il est, ne peut que faire signe, être signe. Il n’y a d’objet que par signe. Mais il n’y a de signe authentique que dans la triadicité de l’acte de signifier, non au sens de vouloir-dire, mais de FAIRE SIGNE., et que Peirce appelle la sémiosis. Ce faire signe n’est pas un clin d’œil d’initiés : il est production d’objets dans tous les sens du terme : innovation qu’il jette devant (ob-jectum), révolution, transformation du monde.
7Gérard Deledalle, Lire Peirce aujourd'hui, Bruxelles, Deboeck-Westmael, 1990, p.122-123.
Peirce définit le signe de la manière suivante :
« Un signe
ou representamen est quelque chose qui tient
lieu pour quelqu'un de quelque chose sous quelque rapport
que ce soit ou à quelque titre. Il s'adresse à
quelqu'un, c'est-à-dire crée dans l'esprit
de cette personne un signe équivalent ou peut-être
un signe plus développé. Ce signe qu'il
crée, je l'appelle l'interprétant du premier signe. Ce signe tient lieu de quelque chose:
de son objet. Il tient lieu de cet objet, non
sous tous rapports, mais par référence à
une sorte d'idée que j'ai appelée le fondement du representamen. » [2.228]
Est signe tout
ce qui répond à cette définition aux
trois conditions fort bien mises en évidences par
Greenlee [105]. Première condition nécessaire,
mais non suffisante: le signe doit avoir “des
qualités qui servent à le distinguer, un mot
doit avoir un son particulier différent du son d'un
autre mot” [7.356]. Mais il ne suffit pas de
percevoir un son pour le reconnaître comme signe.
Deuxième condition nécessaire, mais non suffisante:
le signe doit avoir un objet, mais la relation de deux objets
ne suffit pas à faire de l'un le signe de l'autre:
la relation de la girouette avec le vent est impuissante
à faire de la girouette le signe de la direction
du vent. Il faut pour cela un troisième élément:
l'interprétant. D'où la troisième condition
nécessaire et suffisante sur laquelle nous ne reviendrons
pas: la relation sémiotique doit être triadique,
comporter un representamen, un objet et un interprétant:
le REPRESENTANMEN [qualités perçues d'un objet]
doit être reconnu pour signe d'un OBJET par le moyen
d'un INTERPRETANT [1.541].
Que le signe renvoie à un objet et qu'il a une signification
ne heurte pas nos habitudes mentales, encore que cela ne
laisse pas de poser des problèmes quand on vient
à se demander ce qu'est cet objet et ce qu'on entend
par « signification ». La notion d'interprétant
est nouvelle. L'interprétant n'est ni le sujet qui
interprète ni le signifié. L'interprétant
est un autre signe dont la signification permet d'interpréter
la signification du premier.
8Jean Giono, Le Voyage en Italie, Gallimard, 1953.
Je me suis efforcé de décrire le monde non pas comme il est mais comme il est quand je m'y ajoute, ce qui évidemment ne le simplifie pas.
Voici peut-être une façon littéraire de parler de la relation triadique (surtout du signe-interprétant) et de revenir ainsi à Peirce.
(Cette page est née il y a de nombreuses années. Elle vient d'être remontée et augmentée. En l'état le 21 avril 2024 et en-devenir…)
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