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il vento un fiore
numérique couleurs, 3'42, 2018.
réalisation (image, son, montage) : Annick Bouleau
Production : Ansedonia (c)
Pour faire un lien vers ce film :
http://ouvrirlecinema.org/pages/mon-coin/ab/filmo/ventofiore.html
Clic sur l'image pour accéder au film (Cinémathèque suisse)
Réalisé pour l'hommage à Jean-Marie Straub organisé par la Cinémathèque suisse à l'occasion de son 85ème anniversaire (8 janvier 2018, salle du Capitole à Lausanne).
il vento un fiore fait donc partie de l’ensemble des cartes postales vidéo offertes à Jean-Marie Straub pour cet événement, sur proposition de la Cinémathèque suisse. [Ouvrez !]
I
Ce petit film n’aurait pas pris consistance sans l’insert d’une citation de David Wark Griffith (1875-1948) :
« Pour moi, je tiens que si nous parvenons à reproduire dans son intégrale beauté le simple effet du mouvement du vent sur l’eau, ou sur les branches et la cime des arbres, ou encore les fortes oppositions d’un visage ravagé dans un éclairage approprié, nous avons réussi une chose que le théâtre, le meilleur théâtre ne peut donner au spectateur. » *
Passé le moment de la rencontre avec cette fleur de ciguë, sur un petit chemin de l’Italie centrale, l’enregistrement qui s’en est suivi aurait pu ne jamais dépasser son statut d’enregistrement, justement.
Dans ma promenade distraite sur ce chemin que je crois connaître presque par cœur, il y avait ce jour-là de nouvelles fleurs. Et questo fiore m’a regardé, fait signe au point que j’ai sorti le téléphone de ma poche pour répondre à cet appel.
Immédiatement j’ai pensé à Griffith. Peut-être encore plus que d’habitude (pendant ces rencontres sauvages, inattendues, qui me poussent à filmer avec les moyens du bord : le téléphone portable). Donc je pensais à, j’étais habitée par Griffith pendant toute la prise. Et bien sûr à Straub, car c’est le « filon Griffith » qui m’intéresse le plus dans le travail des Straub-Huillet.
J’ai aussitôt voulu faire quelque chose de cette association : la fleur, la citation de Griffith. Il y avait le risque que l’on prenne la citation comme une justification du plan ou bien le plan comme une illustration de la position de Griffith sur le cinéma. J’ai failli m’embarquer dans des montages improbables. « Faire le malin » comme j’ai plus d’une fois entendu ou lu Jean-Marie Straub, reprenant une expression de Charles Péguy. Passons.
C'est la proposition de la Cinémathèque suisse qui m'a permis de concrétiser ce projet. Ce petit film devenait comme un cadeau pour Jean-Marie Straub. La triade du don (donateur| don | donataire) était établie. Cela l'éloignait de la tendance interprétative illustration ou justification. Il pouvait être lu (faire sens) en tant que reprise du geste premier du cinéma, tel que l’entendent DWG et JMS.
il vento un fiore. L'avant-dernier carton du film ajoute le tiers manquant au titre. À vous de découvrir…
II
Ne pas « faire le malin » (en tout cas : essayer !), ici, à quoi cela m’engageait-il ?
Tout d’abord, ne pas chercher à couper dans le plan pour ôter un mouvement maladroit, une saute de lumière politiquement incorrecte (au regard des codes classiques du cinéma), un micro malmené par le vent, tout cela pouvant fort déplaire à l'éventuel spectateur.
Ensuite, ne pas chercher à jouer sur l’écart temporel entre un cinéma sonore et le cinéma muet : couper le son de l’image, rajouter le son de l’image sous les cartons muets. Se mettre à charcuter en somme pour tout bousiller. Bousiller le geste premier du cinéma qui est de déclencher l’appareil pour laisser la lumière et l’optique faire leur travail.
C’est le vent intempestif qui m’a donné la première partie du titre : il vento, tout simplement. Et qu’est ce que j’ai filmé : une fleur, banalement une fleur sur un chemin. What Else ?
Ensuite, pour donner du rythme, je n'avais pas trop le choix : j'ai joué sur l'alternance image sonore | carton muet. Le carton supportant la citation de Griffith ne pouvant être précédé ou suivi par un autre carton (elle se devait d'être bien en évidence) j'ai choisi de répéter un très court instant du plan séquence (bien repérable d'un point de vue sonore) plutôt que de le couper en deux !
III
Ma première rencontre avec eux (mais sans eux !), Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, fut la projection de Nicht Versöhnt, à l’automne 68, au TEP (Théâtre de l’Est Parisien). Je n’y ai pas compris grand chose mais cela a été comme un choc psychique, au niveau de ces sentiments les plus profonds, du pathique, selon le terme de Viktor von Weizsäcker. Cela faisait sens pour moi sans pouvoir dire pourquoi. Il (se) passait quelque chose.
Non seulement leurs films m’ont ensuite accompagnée (sans en chercher la signification à tout prix tout de suite ) mais ils m’ont comme portée pour que je trouve là où j’allais creuser mon chemin, parfois à mon insu.
C’est en ce sens que je dis que leurs films sont accueillants (lorsqu'on me soutient qu’ils sont difficiles ou intimidants, selon un point de vue que le sens commun qualifie de cartésien). Ce n’est pas forcément le cas pour ceux des autres cinéastes que j'ai considéré aussi comme des repères.
Accueillants, car ils vous laissent de la place : je veux dire que l’éthique et la démarche mises en œuvre ne vous bloquent pas dans la seule relation imaginaire (avec le piège de ne produire que de la répétition, de la copie), et vont vous donner la force (qui sait, au moment où l’on s’y attend le moins), de forger vos propres outils et passer vous-même à l’acte (une idée qui vous arrive, un projet qui s’ébauche, un choix de plan ou de cadrage, une sensation ou un sentiment neufs…).
et puis…
J'ai assisté à la projection inaugurant la rétrospective Chantal Akerman à la Cinémathèque française, le 31 janvier dernier. Claire Atherton, en tant que monteuse et collaboratrice très proche a parlé du travail de Chantal A. Elle a dit notamment que « ses films nous laisse de la place ». Je ne me souviens plus si elle ou quelqu'un d'autre a ajouté qu'ils nous donnaient envie de faire du cinéma.
Le travail de Chantal Akerman a été déterminant dans l'éducation de mon regard. Mais aussi sa façon de le dire, de le traduire, de le déplacer dans le champ de la parole. J'ai toujours lu avec passion les entretiens d'elle, publiés.
Si la démarche d'une ou d'un cinéaste nous laisse de la place dans ses films et que cela nous donne envie de faire du cinéma, il y a là peut-être un risque. À nous de le repérer. C'est ce que j'essaie de dire (mais j'ai du mal à le dire simplement) dans le précédent paragraphe. Je repense à tous les films qui ont fait usage, par exemple, de la dissociation image/son à la manière de Marguerite Duras.
C'est le risque de se projeter, de s'identifier, par trop d'amour, de fusionner dans la seule relation imaginaire (au sens de l'image dans le miroir) … et de ne produire que de la copie. De se nier soi-même en quelque sorte (l'aliénation est toujours là mais il faut le savoir !) alors que l'on croit s'exprimer.
Comment faire des cinéastes que l'on admire des passeurs ? C'est à nous de faire le travail. Et ici, dans ce texte, de préciser peu à peu, en comparant, la possibilité d'une place que nous réserve un film de Chantal Akerman ou de Jean-Marie Straub/Danièle Huillet.
(Commencé le 15 janvier 2018. Dernière modification le 4 février 2018)
* Extrait du fragment 887 de Passage du cinéma, 4992, p. 344. [Ouvrez !]
Dans le film, le carton comporte une erreur qu'on essaiera de corriger ultérieurement ! j'ai écrit je retiens au lieu de je tiens.
• Le site des films de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub [Ouvrez !]
• Le site de la Cinémathèque suisse [Ouvrez !]
• David Wark Griffith [Ouvrez !]
• Claire Atherton, un entretien très intéressant ![Ouvrez !]
Pour un accès à la boîte à outils en devenir d'Ouvrir le cinéma [Ouvrez !]
• Sur le pathique [Ouvrez !]
• Pour entrer dans le monde du signe : le choix de la logique triadique de C. S. Peirce [Ouvrez !]
• Sur la distinction subtile proposée par Jean Oury entre reprise et répétition, on pourra se risquer à lire les prises de notes de deux séances de son séminaire de Saint-Anne : 1_17 septembre 2008 | 2_16 juin 2010 [Ouvrez !]
• Pour se risquer aussi du côté de sens/signification : ici [Ouvrez !] et là [Ouvrez !]
• Filmer Paluche, Réponses au questionnaire « Filmer seul (e) » de la revue Documentaires [Ouvrez !]
• En préparation, une page pour rassembler tout ce qui concerne les films de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub sur le site :
ouvrirlecinema.org/pages/reperes/straubhuillet.html [lien non encore activé)
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